La manipulation politique du concept de métropole dans l’organisation du territoire français

 

François HULBERT, géographe.

Professeur émérite, Université de Lorraine à Metz.

Dernier ouvrage paru : Millefeuille territorial et décentralisation, L’Harmattan, 2014

 

En France le terme de métropole a commencé à être utilisé largement dans le cadre de l’aménagement du territoire et du rééquilibrage de la répartition de la population et des activités entre Paris et les régions. Il faut donc remonter à l’alerte lancée par J.F. Gravier dans son ouvrage Paris et le désert français (1947) pour comprendre le rôle que les décideurs veulent faire jouer à ce concept et la manipulation dont il fait l’objet.

Face à l’expansion démesurée de Paris au détriment des régions, il s’agissait alors de construire des métropoles d’équilibre permettant le développement des régions. Le constat était clair et montrait que la France ne disposait que d’une seule métropole, Paris, à la différence des pays voisins. On parlait alors de contenir, voire de limiter la croissance de l’agglomération parisienne.

 

Toute la politique d’intervention des années 50 aux années 90, à savoir 40 ans d’aménagement du territoire (La Documentation française, 2003), s’inscrivait dans cette perspective et affichait cette volonté. La politique des métropoles s’appuyait sur la théorie de François Perroux selon laquelle les grandes villes sont des pôles de croissance qui entrainent le développement dans l’espace périphérique.

 

En réalité Paris a continué d’affirmer sa suprématie, multipliant équipements et activités dans tous les domaines et concentrant en les développant les sièges sociaux des grandes entreprises et les services de haut-niveau qui les accompagnent. A tel point qu’aujourd’hui c’est Paris élargi à l’Ile-de-France qui représente près de 30 % du PIB national et 19% de la population française.

A la recherche de métropoles dans le désert français

 

En 2003, pour la nième fois, la DATAR déplore la faiblesse des métropoles régionales françaises, l’insuffisance de leurs fonctions de haut niveau, la présence trop réduite de grands groupes industriels ou financiers, de foires et salons, de sièges sociaux … « L’Ile-de-France reste le principal bureau d’études de l’industrie française ». Les activités les plus innovantes et créatrices d’emplois s’y concentrent, comme celles des secteurs de la recherche, de la culture … qui sont « globalement surreprésentés » (Pierre Veltz, 2000). Au-delà d’un discours politique constant sur la décentralisation, la régionalisation, la réforme territoriale et la faiblesse du rayonnement international et du pouvoir de commandement politique et économique des grandes villes françaises, l’organisation centralisée du territoire sur Paris et l’Ile-de-France s’est constamment renforcée avec la collaboration active des régions, comme cela s’observe tout particulièrement dans le développement des infrastructures de transport.

 

 

 

 

Déjà en 1967 Robert Lafont signale que « la structure centralisatrice française apparait dans le réseau des voies de communication » et constate que ce réseau est en contradiction avec la vocation même de la région (R. Lafont, La révolution régionaliste). Or à cette époque le réseau est tout juste amorcé, l’aéroport CDG n’est pas implanté à Roissy et le TGV n’existe pas, autant d’infrastructures qui ont d’abord été conçu par rapport à Paris et l’Ile-de-France. Il y a contradiction entre le désir de construction de métropoles régionales et le fait que les agglomérations et régions concernées réclament et obtiennent des infrastructures de désenclavement conçues d’abord par rapport à Paris. Celles-ci renforcent constamment l’organisation centralisée du territoire comme le montre la multiplication des aéroports et des gares TGV dont le but premier est de faire du rabattage sur Paris.

 

Evoquer Paris et le désert français aujourd’hui n’est plus pertinent aux yeux de nombreux responsables politiques et économiques. Certains ont déjà annoncé depuis longtemps Le printemps des régions et  la fin du désert français (Yannick Le Bourdonnec, 2000). D’autres considèrent que « la célèbre formule Paris et le désert français est devenue désuète » et ne correspond plus à la réalité (Mario Polèse et al, La France avantagée, Paris et la nouvelle économie des régions, 2014).

C’est oublier bien vite que de « nouveaux déserts français » sont apparus et ont fait la une d’un grand quotidien national en août 2014. Les inégalités régionales se sont même accrues. Elles se traduisent par les inégalités d’accès aux services créant des zones sous-équipées qui se sont élargies avec l’abandon de lignes ferroviaires, la fermeture de gares, de postes, de gendarmerie, de cabinets de médecins, de palais de Justice, de cliniques et de maternités … A des degrés divers c’est plus de la moitié des départements qui sont concernés, en particulier dans cette diagonale du vide qui s’étend des Ardennes aux Pyrénées à travers le Massif central. Les travaux du géographe Christophe Guilly ne manquent pas de révéler certains aspects de cette réalité (La France périphérique (2014) et Fractures françaises (2010).

 

La France ne dispose toujours pas de métropoles régionales comme celles qu’on observe dans les régions de plusieurs pays voisins comparables comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou l’Espagne qui ont créé de véritables capitales politiques dans chacune de leur région et ont fait émerger quelques métropoles.

 

Lorsque 10 super régions sont mises en place par la loi entre 1948 et 1964, elles s’appuient chacune sur une agglomération qualifiée déjà à l’époque de métropole. En plus de Paris, il s’agit de Rennes, Lille, Metz, Dijon, Tours, Bordeaux, Lyon Toulouse et Marseille. Certaines d’entre elles se trouvent à la tête de régions qui ressemblent à celles issues de la réforme territoriale récente : Bourgogne-Franche-Comté, Alsace-Lorraine-Champagne-Ardennes, Auvergne-Rhône-Alpes et Aquitaine-Poitou-Charentes-Limousin.

 

Dans les années 1960, avec la mise en place des OREAM (Organismes régionaux d’étude et d’aménagement d’aires métropolitaines), la métropole est définie comme « un fait urbain qui ne peut être extrait de son contexte régional, car elle n’existe que relativement à ce dernier. C’est la région qui appelle le développement de la fonction métropolitaine, destinée à répondre à un certain nombre de besoins régionaux ».  Ce sont ces aires métropolitaines qui devaient devenir les métropoles d’équilibre. Au nombre de 8 dans les années 60, elles sont passées à 12 dans les années 70 avant de s’évanouir. L’ambition était sans doute trop grande, les entités en cause démesurées (Nantes-Saint-Nazaire, Lyon-Saint-Etienne, Metz-Nancy, Marseille-Aix …) et surtout la volonté politique de s’engager dans une véritable décentralisation de longue haleine n’existait pas.

 

Le projet des métropoles d’équilibre va faire l’objet de vastes études d’aménagement. Très présentes dans les enquêtes, les nombreux Livres Blancs et les laboratoires d’aménagement des universités, elles ne se retrouveront pas sur le terrain. Le terme métropole va peu à peu se perdre dans le maquis des agglomérations.

Les métropoles dans le fouillis du statut des agglomérations

 

On peut lire dans le dictionnaire de géopolitique dirigé par Yves Lacoste que le terme « métropole » est attribué à des villes qui ont un rôle « capital » à l’échelle soit d’un Etat, soit d’une région. Si la métropole est la ville la plus importante d’un pays ou d’une région, la confusion peut déjà naitre entre capitale et métropole. A partir de cette première définition les métropoles peuvent être de petites villes, puisque chaque région a évidemment une ville principale, et voilà du même coup, jusqu’à tout récemment, 21 métropoles dans l’Hexagone : Bordeaux pour l’Aquitaine, Lille pour le Nord-Pas-de-Calais, Rennes pour la Bretagne, Strasbourg pour l’Alsace, mais aussi Metz en Lorraine, Dijon en Bourgogne, Clermont-Ferrand en Auvergne, Amiens en Picardie …

 

La reconfiguration récente de la carte des régions qui réduit de moitié leur nombre, bouscule ce premier schéma : Strasbourg devient la nouvelle capitale et la ville principale d’un Grand-Est regroupant trois régions et éliminant du même coup deux capitales régionales Metz et Châlons-en-Champagne. Dans le même temps, Bordeaux élimine Poitiers et Limoges dans une nouvelle grande région fusionnant l’Aquitaine avec le Limousin et Poitou-Charentes. Dans une Bretagne à 4 départements comme elle est restée aujourd’hui, Rennes demeure la capitale et la ville principale, se voulant aussi la métropole. Si la Bretagne réintégrait la Loire-Atlantique, c’est Nantes la plus grande agglomération qui deviendrait la métropole bretonne, alors qu’aujourd’hui elle se veut la capitale et la métropole de la région Pays de la Loire restée elle aussi inchangée après la réforme régionale.

 

Les agglomérations urbaines toujours à la recherche d’une nouvelle identité, d’une nouvelle image, d’une plus grande taille et d’une plus large visibilité, se sont facilement autoproclamées métropoles, en utilisant le mot quelles que soient leur taille et leurs fonctions.

 

La diversité des statuts d’agglomérations est d’une complexité incompréhensible. On retrouve des agglomérations urbaines petites et grandes sous trois statuts différents : communauté de communes, communauté d’agglomération, communauté urbaine. Les agglomérations disposent d’une diversité de statuts pour une même taille et d’une diversité de tailles pour un même statut. C’est ainsi qu’avec une population comparable Brest, Le Mans et Dunkerque sont communautés urbaines, alors que Reims, Metz et Dijon ne sont que communautés d’agglomération. Si les premières communautés urbaines datent des années 60, Nice et Toulouse le sont depuis 2009 et de grandes agglomérations de plus de 300 ou 400 000 habitants comme Rouen, Grenoble, Tours, Saint-Etienne, Rennes ou Clermont-Ferrand restent communautés d’agglomération.

 

A l’ambiguïté des statuts, il faut ajouter l’ambiguïté des désignations. Alors que nommer c’est identifier, dans bien des cas ce n’est pas le principe qui a prévalu. Si le terme de métropole peut convenir pour Lille, Lyon ou Marseille, il se retrouve dans beaucoup d’autres désignations comme Angers-Loire-métropole, Nîmes-métropole, Limoges-métropole … mais aussi pour qualifier des agglomérations de moins de 200 000 habitants comme Valenciennes, Amiens voire même de 130 000 habitants seulement comme Chartres ou Chambéry.

 

Les sirènes de la métropolisation

 

Le terme de métropole va retrouver une nouvelle vigueur à travers les appels à métropolisation lancés par l’Etat au tournant des années 2000. La DATAR est une fois de plus à la manœuvre et définit une quinzaine d’aires métropolitaines, puis 22 ensembles de collaboration interurbaine en 2005. Elles chevauchent souvent plusieurs villes et s’étirent parfois sur une région entière. Ce sont les métropoles en réseau parfois appelées multipolaires qui, vu de Paris, sont censées résoudre les conflits stériles entre les villes qui les composent. Quelques noms évocateurs suffisent pour s’en faire une idée : Sillon Alpin, Sillon Lorrain, Réseau métropolitain Rhin-Rhône, Espace métropolitain Loire-Bretagne… D’un tel dispositif aucune métropole véritable n’a de chance d’émerger et Paris peut continuer de régner sans partage sur l’ensemble de l’Hexagone. Peu importe puisque les régions feignent encore d’y croire, alors que le scénario est pourtant toujours le même : l’appel à un nouveau programme est lancé comme un leurre, les agglomérations se battent pour répondre aux critères imposés ou les faire changer. C’est un concours et les journaux parlent de « métropoles lauréates », comme Le Républicain Lorrain qui évoque « le grand oral du Sillon Lorrain  devant la DATAR » (16 novembre 2004).

 

Le rapport Balladur en 2009 projette 11 métropoles sur la base démographique de 400 000 habitants, et voilà du même coup trois métropoles pour la seule région PACA (Marseille, Toulon et Nice), deux pour le Sud-ouest (Bordeaux et Toulouse) et pour le grand-ouest Nantes et Rennes. Les agglomérations qui ne font pas partie du lot ne tarde pas à réagir et tente de construire des ensembles territoriaux en réponse au seuil démographique imposé. Mais le Gouvernement ne leur en laisse pas le temps et en octobre 2009 il monte le seuil à 450 000 habitants éliminant ainsi Rennes, Toulon et Rouen pour ne retenir que 8 métropoles. Le rapport Balladur suscite une levée de boucliers (Le Monde, 27 février 2009) des « grandes villes », fort nombreuses, qui ne sont pas retenues. Pour répondre à leur attente, l’Etat va s’empresser d’inventer un nouveau concept celui de métropoles multipolaires permettant l’entrée au club métropolitain des agglomérations éliminées précédemment par le seuil démographique.

 

Pendant que les villes se battent pour acquérir le statut de métropole et se contentent du mot en criant victoire après avoir participé à un jeu de dupes qui les rend toujours plus dépendantes de Paris qui seul définit les règles du jeu, le Gouvernement lance comme une provocation son projet du Grand Paris.

 

 

Grand Paris : la métropole contre les métropoles

 

Pendant que les villes se battent pour obtenir le statut de métropole, Paris lance son projet du Grand Paris, comme pour mieux enfoncer le clou de sa domination. Le projet du Grand Paris avec l’axe de la Seine jusqu’au Havre, déjà présenté comme la Grand-rue de la capitale vers son débouché maritime, vient aujourd’hui confirmer et couronner 40 ans d’imposture et d’illusion en matière de décentralisation et d’aménagement régional du territoire.

 

Imposture en effet lorsque certains en viennent à considérer que l’organisation du territoire hexagonal est bien comme elle est. Pourquoi en effet faire croire à la nécessité de grands équipements et services de haut niveau en régions dans des capitales ou des métropoles, puisque Paris et l’Ile-de-France les offrent en les rendant de plus en plus accessibles rapidement en particulier par TGV et que l’aéroport de Roissy permet d’atteindre toutes les capitales et grandes villes du monde ? Pourquoi dans ces conditions avoir fait croire pendant plus de 40 ans qu’on menait une politique visant à créer des métropoles régionales, que régionalisation et décentralisation étaient en marche et pourquoi les Régions ont-elles accepté d’y croire et qui plus est de nous le faire croire en participant à ce jeu de dupes Etat-Région ?

 

Les Régions n’ont-elles pas accepté une fois pour toutes que Paris et l’Ile-de-France deviennent le lieu de tous les services et équipements à leur portée. Qui plus est Paris donne aux activités des régions une fenêtre sur le monde et leur offre « d’irremplaçables vitrines internationales » (Gérard-François Dumont, Les régions et la régionalisation en France, Ellipses, 2004, p. 153 ; Denise Pumain, L’Express, 10 mai 2004). Dans ces conditions pourquoi par exemple parler d’aéroports intercontinentaux en régions puisque ces dernières ont de multiples accès directs à Paris permettant les relations avec le monde entier. Et voilà un équipement essentiel à une métropole qui perd sa raison d’être ! Comment construire des métropoles dans un tel contexte ?

 

Le projet du Grand Paris est lancé sous Nicolas Sarkozy et prolongé avec François Hollande. Et voilà confirmée une France polarisée autour d’une unique métropole, Paris, seule agglomération française apte à affronter la compétition internationale, disqualifiant comme par avance toute agglomération régionale apte à relever le défi, l’en empêchant même. Depuis la fin des années 90 la population de l’Ile-de-France a augmenté d’environ 900 000 personnes, soit plus que la population actuelle d’une agglomération comme Bordeaux ou Toulouse.

 

La domination de la région parisienne sur l’économie française n’est ni naturelle, ni allant de soi, comme on a su l’exprimer il y a plus de 40 ans. Elle est le fruit de l’histoire, le résultat du centralisme d’un Etat et des gouvernements qui ont organisé et orienté les investissements en fonction de la région capitale. Les régions et leurs agglomérations, les départements et les communes ont plus contribué à consolider ce système centralisé qu’à le combattre.

 

Que sont les métropoles régionales devenues, alors qu’à 80 km de la capitale l’aéroport de Beauvais-Paris a un trafic de passagers équivalant à celui de Nantes et bien supérieur à celui de Montpellier, de Brest ou de Strasbourg avec leur statut de métropole !

 

Chaque région devrait pouvoir se référer à une métropole disposant d’un niveau d’équipements et de services et de pouvoirs de décisions lui permettant de détourner à son profit certains flux économiques qui s’en vont depuis toujours vers l’Ile-de-France. Elle doit aussi disposer de liens aériens directs vers d’autres continents, évitant l’actuel passage obligé par Paris. Elles doivent attirer des sièges sociaux d’entreprises internationales, accueillir de Grandes Ecoles et d’importants centres de recherche sur des campus universitaires internationaux. Le rôle de ces métropoles est de permettre aux régions de sortir de la dépendance parisienne et de l’organisation centralisée du territoire.

 

Cette politique de métropolisation qui multiplie les fausses métropoles est conçue de la même façon que toutes les politiques d’aménagement régional du territoire qui ont précédé : « il s’agit de diviser pour mieux régner » au profit du seul pouvoir central parisien (J.L. Guigou, DATAR, La France redécoupée, 1998). Le centralisme et le rôle de Paris en sortent toujours confortés. Défini et décidé par l’Etat et le gouvernement central, le statut de métropole est attribué depuis Paris qui reste seul maitre du jeu.

 

Toutes ces politiques successives définies depuis Paris apparaissent comme des leurres après lesquelles courent les collectivités territoriales en régions qui s’épuisent depuis plus de 40 ans dans une compétition sans fin, aux règles changeantes, sans jamais atteindre les objectifs de décentralisation et de régionalisation qu’elles prétendent viser et que les élus, à tous les niveaux du millefeuille territorial, relaient en feignant d’y croire.

 

Les métropoles de la dernière cuvée

 

A partir de 2012 un nouveau statut de métropole est créé et Nice est la première agglomération à l’adopter. Pour atteindre les 500 000 habitants alors requis, elle doit fusionner sa communauté urbaine avec trois communautés de communes dont de nombreuses petites communes rurales. Ces métropoles reçoivent quelques maigres compétences nouvelles prises à l’Etat, au département et aux communes. Au lieu de remettre en cause le casse-tête intercommunal des agglomérations urbaines, le changement politique de 2012 l’a conforté en y ajoutant un statut nouveau. Pourquoi les métropoles ne pouvaient-elles pas être l’occasion de simplement clarifier et redéfinir le cadre et le statut des agglomérations urbaines ?

 

On peut bien faire une loi concernant « l’affirmation des métropoles », comme pour continuer à imposer à partir du 1er janvier 2015 une réalité qui n’existe pas ou si peu. C’est le cas du nouveau statut attribué à 14 agglomérations de plus de 400 000 habitants, parmi lesquelles on retrouve une exception Brest dont la communauté urbaine ne dépasse guère les 200 000 habitants. « Nouveau statut, nouveau logo, pour le reste rien n’a changé » peut titrer le journal régional (Le Télégramme).

 

Ce statut de métropole est attribué à 12 agglomérations en plus de Paris et Marseille, à savoir : Lyon, Lille, Bordeaux, Toulouse, Nantes, Nice, Rouen, Strasbourg, Montpellier, Rennes, Grenoble et Brest. Cette répartition n’a pas grand sens pour l’organisation et le développement des régions. Elle place 3 métropoles sur la Méditerranée, 3 également dans la Bretagne comprenant la Loire-Atlantique, 2 dans le grand Sud Ouest, 2 en Rhône-Alpes, et laisse des régions entières sans agglomération de ce type, alors qu’elles disposent pourtant d’une population bien supérieure à Brest …. C’est le cas de Toulon, Saint-Etienne, Clermont-Ferrand, Tours …

 

Le territoire de ces métropoles nouvelle formule reprenne souvent tel quel le territoire intercommunal des agglomérations considérées qui sont des communautés urbaines anciennes et des communautés d’agglomérations. Seule Marseille apparait comme un cas différent puisqu’il s’agit d’un regroupement de la communauté urbaine avec plusieurs communautés d’agglomérations périphériques.

 

Les agglomérations veulent être métropoles selon le statut défini par le pouvoir central pour bénéficier des dotations et financements qui y sont rattachés et grappiller quelques parties de compétences dites nouvelles. Elles cherchent ainsi à tenir leur place dans les nouvelles régions qui leur ont fait perdre le statut de capitale. C’est le cas de Montpellier qui présente sa bataille pour entrer dans le club de métropoles comme la seule alternative pour faire entendre sa voie et conforter son rôle dans la Grande Région face à Toulouse qui lui ravit le titre de capitale, alors que celle-ci bénéficie aussi du statut de métropole. Cette compétition stérile où se battent entre elles les régions et les agglomérations n’a pas de sens. Montpellier cherche maintenant à former un pôle métropolitain de un million d’habitants.

 

Bordeaux a la même ambition du million d’habitants et se bat pour obtenir le plus grand nombre possible de TGV aller-retour quotidiens et directs avec Paris. Contradiction d’une politique de mise en dépendance croissante avec Paris qui fournit tous les équipements et services de haut niveau qui ne trouvent plus leur raison d’être dans les agglomérations régionales qui rêvent pourtant d’être de vraies métropoles.

 

Au lieu de se tourner le dos dans deux régions différentes comme elles viennent de le faire, Bordeaux et Toulouse, chacune avec leur statut concurrent de métropole, devraient s’unir dans une même région et utiliser leur force pour contrer le centralisme parisien. Bordeaux serait la capitale politique et Toulouse la métropole. La perspective récente de vols directs vers l’Asie ajoute un atout essentiel au rôle de métropole que peut jouer Toulouse pour tout le quart Sud-ouest de la France.

 

La même logique peut s’appliquer à Rennes et Nantes, la première étant la capitale bretonne et la seconde jouant son rôle de métropole pour les régions d’un Grand Ouest reconfiguré qui ne l’a pas été lors de la réforme régionale. La Loire Atlantique doit réintégrer la Bretagne, la Vendée le Poitou-Charentes et le Centre devenir une véritable région de la Loire avec le Maine et l’Anjou. Il s’agit de créer des régions plus authentiques et bien identifiées qui se réfèrent une métropole, Nantes. C’est le retour à l’une des 8 premières métropoles d’équilibre des années 60 et du schéma d’aménagement qui parlait alors de «l’Ouest atlantique et sa métropole ».

 

Basé sur le duo capitale-métropole le schéma s’applique aussi à Rouen et Caen. On pourrait bien le retrouver avec Grenoble et Lyon, celle-ci jouant son rôle de métropole pour Rhône-Alpes, l’Auvergne et le sud de la Bourgogne. Ce type d’organisation territoriale n’impose pas que l’Auvergne soit annexée par Rhône-Alpes comme c’est le cas aujourd’hui. L’Auvergne et le Limousin peuvent s’unir dans une région Massif Central bien identifiée dans l’espace français, avec deux villes principales Clermont-Ferrand et Limoges, qui là encore au lieu de se tourner le dos dans deux régions différentes peuvent se partager les fonctions.

 

Métropoles et capitales : le partage des rôles

 

Le duo capitale et métropole peut construire des régions plus fortes et permettre d’équilibrer les pouvoirs et les rapports de force politiques et économiques. Dans le nouveau découpage des régions, on présente comme allant de soi que la plus grande agglomération doit être la capitale et c’est encore une fois Paris qui impose ce choix et les régions qui acceptent et s’inclinent sans contre-proposition. Les régions semblent se satisfaire de simplement s’amuser à trouver un nouveau nom à leur région en invitant les citoyens à participer à ce jeu, alors qu’ils ont été précédemment tenus à l’écart de toute participation à la réforme territoriale et régionale.

 

Le nouveau schéma d’organisation régionale refuse de considérer que la capitale politique de la région pourrait ne pas être la ville principale. Alors qu’avec la diminution du nombre des régions, 9 villes ont perdu leur rôle de capitale régionale, la plus grande ville est choisie pour y concentrer toutes les fonctions. Le polycentrisme de l’armature urbaine qui caractérise plusieurs régions est un atout à conforter et valoriser, alors qu’il est ignoré par la « figure imposée » des métropoles.

 

Strasbourg a été désignée la première concentrant ainsi tous les pouvoirs : capitale européenne, capitale de la nouvelle région Alsace-Lorraine-Champagne-Ardennes, statut de métropole, préfecture départementale et régionale.

 

Si Strasbourg est bien identifié à l’Alsace, avec une assemblée régionale unique supprimant les deux départements, elle pourrait avoir sa capitale à Colmar. Dans une région élargie à la Lorraine, Metz devrait tenir ce rôle et à plus forte raison dans cette région Grand Est étendue des rives du Rhin aux portes de l’Ile-de-France. Strasbourg aurait dû refuser de devenir la capitale de cette région surdimensionnée incluant la Champagne et dénaturant son identité. Elle devrait se concentrer sur la construction de son rôle de métropole pour les régions qui l’entourent.

 

Le mot métropole est utilisé à tort et à travers et le concept a été complètement dénaturé par son utilisation, en particulier dans les politiques récentes en matière d’organisation du territoire. Les métropoles sont trop nombreuses pour pouvoir jouer un rôle véritable et ne disposent pas de pouvoirs et de moyens repris à l’Etat central pour prétendre organiser les régions de façon décentralisée. En acceptant le statut de métropole qui leur est jeté en pâture, les régions se contentent de l’illusion de pouvoir que Paris leur octroie pour rester la seule vraie métropole.

 

 

 

 

 

 

 

Le labyrinthe communal des métropoles et des agglomérations 

 

Aux mains des gouvernements successifs, les réformes territoriales ont toujours abouti au maintien des structures en place et à l’ajout de quelques nouvelles structures alourdissant le millefeuille territorial et le rendant plus complexe. Malgré le discours politique contraire, le département est toujours en place même s’il a pu être grignoté comme dans le cas de Lyon où la métropole exerce les pouvoirs du département sur les 59 communes de son territoire. Les 228 autres communes forment le nouveau département du Rhône.

 

La création récente des métropoles n’a pas vraiment changé grand-chose au fonctionnement et à l’organisation des agglomérations en cause qui étaient précédemment des communautés urbaines ou d’agglomération. Si certains noms ont changé d’autres sont restés les mêmes, comme Grenoble Alpes Métropole ou la communauté urbaine de Nice Côte d’Azur qui devient en 2012 la Métropole Nice Côte d’Azur. Elle n’a surtout pas simplifié ou clarifier les structures territoriales et les nombreux statuts qui caractérisent les agglomérations urbaines de toute taille. Pour plusieurs agglomérations le statut de métropole s’est ajouté aux autres statuts déjà existants. Le puzzle territorial s’est compliqué.

 

Une des grandes faiblesses des agglomérations françaises reste toujours le même, à savoir : la multiplicité des communes et le poids de la ville-centre par rapport aux communes de la périphérie. Alors que les 3 plus importantes agglomérations qui peuvent être qualifiées de métropole sont de taille comparable, les villes-centres ne le sont pas : Marseille a 860 000 habitants, Lyon 480 000 et Lille seulement 230 000. Il en va de même entre Toulouse et Bordeaux : si la première a 440 000 habitants la seconde n’en a que 240 000. La comparaison se fait difficilement avec les agglomérations des autres pays européens qui ont procédé à des fusions communales depuis longtemps. Si la France ne dispose pas de nombreuses grandes villes, c’est en partie parce qu’elle n’a pas procédé au regroupement des communes dans ses agglomérations. Au Canada par exemple, la ville de Québec qui avait moins de 200 000 habitants en a maintenant plus de 500 000 suite aux fusions du début des années 2000.

 

Pour pouvoir se mesurer aux autres villes et métropoles européennes, les agglomérations françaises doivent intégrer leurs communes périphériques à la ville centre. On le sait depuis longtemps, mais aucune réforme n’est élaborée en ce sens.

 

En 2005 lors des auditions tenues par les auteurs du Livre noir sur l’intercommunalité, le maire de Bordeaux Yves Martin en appelle à une « fusion des communes », en considérant que « la seule vraie solution pour Bordeaux, c’est la fusion ». Il propose alors des arrondissements pour maintenir l’échelon de proximité. Comment ne pas interpréter ces propos comme un terrible échec du fonctionnement intercommunal après 40 années d’existence de la communauté urbaine créée en 1966. Cette proposition pourrait s’appliquer à toutes les agglomérations construites depuis longtemps sur le même schéma intercommunal.

 

En créant les métropoles une fois de plus « on contourne le problème » au lieu de le résoudre, comme l’avait signalé Pierre Mauroy à propos de l’intercommunalité en général (Le Monde, 30 octobre 2000). Ce renforcement de la ville centre est aussi proposé pour Paris : le Rapport Balladur de 2009 suggère d’intégrer à la capitale les trois départements adjacents (Hauts-de-Seine, Val-de-Marne et Seine-Saint-Denis) qui, divisés en nouveaux arrondissements, feraient passer la capitale de 2,2 millions d’habitants à plus de 6 millions, situation plus comparable aux autres métropoles mondiales. La métropole du Grand Paris ne semble pas engagée dans cette voie et ressemble de plus en plus, comme d’habitude dans ce qui est présenté comme une réforme territoriale, à un assemblage de poupées gigognes ou une pièce montée pour reprendre la formule de Valérie Pécresse nouvelle présidente de la région Ile-de-France.

Métropoles, décentralisation et régionalisation : illusion et imposture !

 

Les 14 métropoles à la française conçues par l’Etat central contribuent à pérenniser l’organisation centralisée de l’Hexagone. Plus de la moitié d’entre elles ne peuvent être considérées comme de véritables métropoles comparables à celles que l’on trouve en Europe. Même les plus importantes sont assez loin dans le classement européen d’une étude récente : en dehors de Paris, Lyon est en 17ème position, Marseille en 23ème et Toulouse en 28ème.

 

La réforme territoriale et régionale menée sous François Hollande est à ce point incohérente et si grandement inachevée que des groupes de travail en appellent déjà à revenir sur le découpage des régions, à supprimer les départements, à regrouper les communes … et à « s’attaquer enfin et vraiment au millefeuille territorial », comme s’il ne s’était rien passé et que tout était à reprendre (Les Echos, 10 décembre 2015). Il ne s’est effectivement pas passé grand-chose. Les régions plus grandes ne sont pas des régions plus fortes, les métropoles dont il est toujours question n’ont pas non plus les pouvoirs et les moyens qui en feraient de véritables métropoles et les capitales politiques régionales ne souffrent pas la comparaison avec celles des pays voisins. De 2012 à 2014 on a continué à entretenir l’illusion d’une réorganisation territoriale, avec un ministère de la Décentralisation et un ministère de l’Egalité des territoires auxquels on a ajouté en 2014 un secrétariat d’Etat à la Réforme territoriale.

 

L’acte III de la décentralisation n’est qu’un acte de plus, c’est-à-dire encore une fois à reprendre. Par combien d’actes manqués faudra-t-il encore passer pour en arriver à une véritable décentralisation. Depuis les années 60 les politiques n’ont jamais cessé de parler de rééquilibrer l’organisation du territoire, de décentraliser et de régionaliser, tout en continuant à organiser le pays de façon centralisée. Régulièrement la DATAR a tiré la sonnette d’alarme pour que des politiques soient engagées permettant aux grandes agglomérations françaises de se hisser au niveau des métropoles régionales européennes. En vain !

Dans la perspective de construction d’un véritable pouvoir régional, décentralisation et création de vraies métropoles régionales sont liées. Les métropoles régionales sont le moyen de sortir les régions de la dépendance parisienne et de l’organisation centralisée du territoire.

 

Il s’agit pour les régions de reconnaitre qu’il est dans leur intérêt d’avoir un nombre limité de métropoles et d’en définir l’importance dans une France décentralisée. En raison de leur attractivité actuelle et potentielle, de leur positionnement dans l’Hexagone par rapport à Paris et des équipements dont elles disposent ou qu’elles pourraient se donner, il faut retenir Toulouse, Marseille, Lyon, Nantes, Strasbourg et Lille.

 

On pourra parler de décentralisation véritable lorsque des pouvoirs, des compétences et des moyens pris au sommet de la pyramide centralisée du millefeuille territorial, c’est-à-dire à l’Etat et à Paris, descendront en régions dans les capitales et les métropoles. Ce n’est pas plus le cas aujourd’hui qu’hier.

 

Janvier 2016

Quelques références :

 

 

Yves Lebahy, La métropolisation, un modèle obsolète, Le peuple Breton, De la métropole à la ville entreprise ? N° 592, mai 2013.

 

Jacques Beauchard, Une révolution dans l’espace français : la ville contre le territoire ? Population et Avenir, N° 708, mai-juin 2012.

 

Pierre Veltz, Mondialisation, villes et territoires, PUF, 3ème édition, 2000.

 

Robert Lafont, La révolution régionaliste, Gallimard, 1967.

 

Mario Polèse, Richard Shearmur, Laurent Terral, La France avantagée, Paris et la nouvelle économie des régions, Odile Jacob, 2014.

 

Yves Lacoste (Dir.), Dictionnaire de géopolitique, Flammarion, 1993.

 

Claude Lacour et Aliette Delamarre, 40 ans d’aménagement du territoire, La Documentation française, 2005.

 

Yannick Le Bourdonnec, Le printemps des régions, La fin du désert français ? Calmann-Lévy, 2000.

 

Christophe Guilly, Fractures françaises, 2010 et La France périphérique, 2014.

 

Marc Wiel, Le grand Paris (Conflit de la décentralisation), L’Harmattan 2010.