Une question récurrente taraude les recherches des philosophes, celle du déterminisme ou non de nos trajectoires de vie. Mais cette question ne fut pas jardin privé des sages, les physiciens aussi s’y confrontèrent à a partir du moment où les connaissances newtoniennes furent questionnées par de nouvelles découvertes au 19e puis 20e siècle.
Le déterminisme en sciences est un principe qui stipule que si l’on réunit les conditions nécessaires à la réalisation d’un certain phénomène, alors ce phénomène doit se produire obligatoirement. Toute la physique classique obéit à ce principe, y compris la physique statistique. Après la naissance de la physique quantique, sous l’impulsion de Max Born une nouvelle théorie prit corps qu’il baptisera mécanique quantique et, en 1926, il introduisit la théorie des probabilités au coeur de la physique. Les idées du physicien allemand amènent àdémontrer que le hasard quantique n’est pas une quelconque méconnaissance des paramètres d’une expérience ; c’est un constituant à part entière de la théorie quantique.
Les convictions apportées par M. Born entraînèrent légitimement des controverses avec des physiciens de haute stature de l’époque comme Schrödinger et même Einstein, ce dernier exprimant son désaccord avec son célèbre « Dieu ne joue pas aux dés » ; formule qui relevait cependant plus de certitudes côtoyant des croyances, à laquelle Stephen Hawking répondra plusieurs décennies plus tard en formulant « Non seulement Dieu joue aux dés, mais en plus il triche. » In fine, les découvertes de Born seront intégrées dans la synthèse que Niels Bohr réalisera en 1927, mettant définitivement au point – sauf nouvelle découverte, évidemment – la nouvelle mécanique quantique. Max Born recevra le Prix Nobel de physique en 1954.
Les oppositions – relatives – entre certitudes et convictions se retrouvent fréquemment dans bien des domaines, notamment lorsque des dogmes religieux ou des idéologies politiques figées sont confrontés au réel, c’est-à-dire à des problématiques, qu’elles soient techniques ou humaines, par natures susceptibles de mutations. Le paradoxe de Jevons en est une illustration les écologistes dogmatiques exigeaient que les constructeurs fabriquent des véhicules consommant moins de carburant/km, ce qui fut fait sous le regard dubitatif des scientifiques.
Le coût au kilomètre a baissé, ce qui a incité les conducteurs à rouler davantage : s’il n’y a pas de signal de prix fort, la baisse des quantités par unité fait que l’on consomme davantage, a fortiori lorsque l’on est face à une consommation ou l’élasticité-coût est longue à se stabiliser du fait d’un usage quotidien et récurrent, et sans alternative crédible, de l’outil en question.
En Prospective, il en va de même. A travers des scénarios contrastés, alternatifs et en partie complémentaires, nous présentons aux décideurs des choix probabilistes différents conduisant à des conséquences différentes dans les applications futures. Ce sont des convictions mais sûrement pas des certitudes simplistes comme on en rencontre tant chez bien des décideurs publiques.
Le changement c’est tout le temps…
« Tout homme a horreur du changement, sauf le bébé qui a les fesses mouillées. », annonçait un ami liégeois, consultant en management. Pour autant, il prônait une attention particulière aux évolutions de toute nature pouvant remettre en cause durablement les positions commerciales d’une entreprise ou une politique publique, fiscale ou sociale par exemple.
Déjà, dans l’antiquité, Lucrèce (1er siècle avant J.-C.) avait observé de son vivant l’évolution de la forme des voiles et des rendements des bateaux, en tirant une certitude : l’organisation de toute société ne peut que changer de temps en temps, voire régulièrement. Nous qui vivons, depuis la Renaissance, une période de mouvements affectant les divers aspects de fonctionnement de nos sociétés, serions bien pertinents d’épouser la constatation du romain : la vie est changement.
Les rythmes des changements ne sont pas linéaires ; parfois, des périodes de stabilité se font jour, mais elles masquent les modifications qui sont en train de se préparer, c’est pourquoi ce sont les plus pernicieuses. Parfois, les innovations ne sont pas prises en compte – pour des raisons diverses, tantôt techniques, tantôt politiques, comme l’Aérotrain -, parfois, elles semblent accélérer les environnements sociétaux, comme l’introduction de L’Internet grand public et du Web en 1989.
Il est compréhensible que des personnes affectées dans leur emploi soient rétives à l’introduction de changements organisationnels productifs qui conduiront soit à des sessions d’adaptation, soit à des pertes d’emploi. Que l’on pense aux Luddistes du 19e siècle jusqu’aux salariés de la sidérurgie dans un passé plus récent. Ce n’est pourtant pas nouveau : dans la mythologie grecque, Asclépios était réputé comme grand médecin, à tel point qu’il avait commencé à ressusciter des morts, amenant les protestations d’Hadès auprès de Zeus, la démarche du médecin menaçant son « commerce » des morts. Aux côtés d’Asclépios oeuvraient
ses deux filles, Hygie et Panacée ; cette dernière était censée guérir toute les maladies. Imaginons qu’elle revienne de nos jours pour le plus grand bien des Terriens (et surtout ceux qui subissent encore des épidémies redoutables) et nous aurons des protestations véhémentes, des manifestations hostiles… de la part des médecins, pharmaciens, laboratoires… défendant becs et ongles leur outil de travail.
Ce qui fait le plus cruellement défaut de nos jours de la part des entreprises et des pouvoirs publics, c’est le manque d’anticipation. Il n’est pas question d’accepter telle quelle une innovation, une amélioration, un changement, mais de s’interroger sur ses conséquences à moyen et long terme, pour ensuite choisir si l’on doit encourager les ruptures identifiées, les infléchir, voire les combattre.
Faisons nôtre cet extrait d’un poème de Khalil GIBRAN, en exergue du livre « Libres enfants de Summerhill » : « Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s’attarde avec hier ». Tout humain qui a déjà vécu quelques décennies le sait parfaitement. Alors, pourquoi le nier. L’adaptation dans la joie est aussi une composante des sociétés dynamiques.
Liam FAUCHARD / FutureScan / Septembre 2014