Le jour où Dieu pleurera

Où était Dieu pendant la Shoah ? Vous le saurez en lisant ce livre : tandis qu’un jeune survivant accompagné d’un petit perroquet ne cesse de proclamer « Dieu nous a tués », vous sillonnerez les cieux en compagnie du général des anges, Métatron, inquiet de l’absence de son maître : le trône céleste est vacant, et plus rien ne fonctionne normalement.

Non jugées, les âmes des nombreuses victimes s’accumulent, ce qui n’est pas sans conséquences. Dieu finit par revenir. Mais cela ne va pas mieux : le désordre s’est installé. Le Maître du Monde procède à l’examen du monde et de ses religions, ce qui Le conduit à une profonde dépression. Ses pleurs vont entraîner une catastrophe cosmique ; mais tout est-il vraiment désespéré ? Ces évènements, qui commencent sur Terre, dans les avenues de la mort, et se poursuivent dans le monde des anges, sont relatés avec humour ; ils mettent en scène Satan, Douma, l’ange de la mort, et bien d’autres, dont les âmes de deux rabbins célèbres : R. Aquiba et un certain Yochuah ben Yossef, alias Jésus – sans oublier ni Albert Einstein, ni un renard au grand cœur, érudit et polyglotte. Cette randonnée dans un imaginaire enraciné dans l’Ecriture est l’occasion d’une réflexion sur le destin de l’Homme et l’absence de Dieu.

Francis WEILL
L’Harmattan – 2014 – 165 Pages

 

Le récit commence comme un conte pour enfants. Un jeune enfant, Yobbele, dénudé, le corps couvert de tâches de sang, erre seul dans la campagne. Il risque de mourir de froid. Il est sauvé par un renard, Vulpo, qui parle Yiddish, qui connaît l’enseignement des rabbins, des popes, des Evangiles, etc.

Par petites touches on apprend que les Allemands ont envahi la région et font régner la terreur. Des familles entières sont exterminées, dont celle de l’enfant. Son père, avant de mourir lui a dit : « Je veux que tu parcours le Monde en clamant « Dieu nous a tués ». » Cette parole a été apprise par un des héros du conte, le perroquet de la famille, Arkenciel. Au cours des aventures à venir, il créera la scandale en chantant à temps et à contretemps « Dieu nous a tués ».

 Autre repère temporel : le chef des anges, Métatron, a un souci : l’afflux anormal d’âmes vers le Ciel, lié à une catastrophe humaine. Aidé de son GPS céleste (Guide Pour les Saints), il décide d’aller voir ce qui se passait sur Terre. Jamais il n’avait assisté à un spectacle aussi sordide, aussi implacable, aussi complet de dégénérescence de l’homme.

            Il fallait d’urgence prévenir celui qui savait tout.

Sur le chemin du retour il s’aperçut qu’Arkenciel l’accompagnait sur son épaule et ne manquait pas d’accompagner les prières des hommes qui montaient vers le Très Haut de son refrain « Dieu nous a tués ». Arrivés au Trône de Gloire (où était la Gloire ?), celui-ci était vacant et ses gardiens comme morts.

On aura compris qu’il ne s’agit pas d’un conte pour enfants. De façon plus ou moins implicite, l’auteur aborde la question qui taraude l’humanité après la Shoah : comment croire en Dieu après Auschwitz ? Où donc est Dieu ? C’est justement la question que se pose Métatron. A l’aide de son smartphone angélique crypté, il lance un appel à tous les archanges pour un conseil restreint urgent. Satan a une réponse : le Maître du Monde serait parti pour une exoplanète située à quatre années-lumière de la Terre. L’esprit d’Albert Einstein (encore vivant à l’époque des faits) est convoqué pour expliquer la notion d’espace-temps et aussi le fait que même le Tout-Puissant n’a pas la possibilité de modifier les lois physiques qu’Il aurait établies.

Comme dans tout le livre, le récit du déroulement des « faits » est accompagné de références aux textes sacrés qui plaident pour l’une ou l’autre des thèses avancées, soit dans les discussions de Yobbele sur la Terre, soit dans les conversations « savantes » des anges entre eux, soit dans les écrits des prophètes et des sages. C’est justement à un de ses sages, Elie, « Spécialiste des miracles » qu’est confié la mission de retrouver le Saint Béni et de le ramener sur son Trône.

« En fait, ce problème terrible de l’absence de Dieu, ou de l’injustice de Dieu, est abordé depuis des millénaires par le livre de Job « Puisqu’elle est incompréhensible, l’injustice de Dieu n’est pas injuste. » « Oui, la Tora construit un univers de liberté, d’égalité et de fraternité. Hélas, le Monde ne l’a pas reconnu. »

Le 08 Mai 1945, selon le comput de la Terre, les informations qui remontaient de l’En-Bas avaient changé. Il y avait moins d’âmes à recueillir. Dans l’En-Bas la mort recule et la joie prévaut. Grande nouvelle, le carnage semble s’être arrêté. Les anges avouent avoir cruellement souffert de l’inaction de leur Maître devant l’âme de la castastrophe, un personnage falot du nom d’Hitler. Métatron dresse à son jeune assistant, Mechoret, un tableau saisissant de l’idéologie nazie, de l’assassinat de six millions de juifs, mais aussi de Staline, libérateur triomphant, qui asservira ceux qu’il a libérés et qui, de son côté, a tué douze millions de personnes. C’est enfin, après les bombardements de Hiroshima et de Nagasaki qui firent plus de deux cent mille victimes, que la Voix du Tout-Puissant retentit à nouveau « Je suis là ! Sur monTrône ! ».

Parmi les chants d’accueil il entendit « Dieu nous a tués ». Préparant sa colère, le Saint Béni se retira auprès des justes, Ses Sages.

Leur porte-parole, Aquiba, raconta au Tout-Puissant tous les malheurs de la Terre et les dizaines de millions de morts « Tu nous avais abandonné. » Le dialogue qui suit, entre Aquiba et le Seigneur montre toutes les « contradictions » qui sont dans les textes sacrés et sont donc source de malentendus : « Oui, mes rapports avec Mon peuple sont empreints de malentendus ; mais, dis-moi, Aquiba, s’il y a des victimes, il y eut nécessairement des bourreaux ? Qui étaient-ils ?

En Europe, ils se réclamaient d’Esaü. Ils se réclamaient de Yochuah ben Jossef, appelé aussi Jésus. Si ses disciples sont divisés, ils ont un point commun : la haine des juifs. »

Jésus est appelé à comparaître. Pour commencer, le Seigneur ne le reconnait pas comme son fils, du moins pas plus que ses innombrables fils avec lesquels il a peuplé la Terre. Procès à charge et à décharge : là encore, mise en évidence des contradictions et des malentendus entre l’enseignement de Jésus et sa transcription par ses apôtres et ses disciples. Paul « disciple autoproclamé » est particulièrement visé. « Oui, les bourreaux ont tous été élevés dans la religion de Paul. Mais ce n’est pas au nom de cette religion qu’ils ont été des bourreaux. » Pour clore provisoirement un long débat, le Seigneur déclare « J’enregistre que tu as compris beaucoup de choses et que tu plaides non-coupable ; tes arguments sont convaincants. »

 

Le débat se prolonge encore sur des nombreuses pages du livre, sur la doctrine de Marcion et le concept de substitution. Il se termine sur une note positive « Je pourrais enfin voir s’ouvrir entre les fils de Jacob et les disciples de Paul l’ère de la fraternité que j’attends depuis tant de générations – fraternité si naturelle à mes Yeux que je l’estime inévitable. » Après avoir entendu Aquiba, le Sage juif, et Jésus, le Seigneur exprima le souhait de voir Muhamad (le prophète Mahomet), car un de ses disciples (Amin Al-Hussein) avait été l’ami d’Hitler et avait lancé un appel à la radio « Tuez tous les juifs partout où vous les trouverez. » ; en faisant explicitement référence à l’enseignement du prophète. Là encore, on retrouve l’argument du malentendu entre Dieu (Allah) et son prophète.

Muhamad ! Il m’a plu parfois de te dicter de saintes paroles. Mais es-tu certain de les avoir toujours comprises ? Je ne saurais valider celles-ci, ni d’autres. Muhamad, mon fils, après critique de plusieurs sourates du Coran, j’attends de tes disciples qu’ils apprennent l’amour de tous mes autres fidèles. »

 

Le Seigneur se retira ; il se sentit plus triste que jamais. Plus tard, après d’autres péripéties, alors que l’ange Gabriel lui prodiguait des soins, il avoua « Vois-tu Raphaël, j’ai cru ma création parfaite après de multiples essais imparfaits. Je sais maintenant qu’elle a été un échec. » Et pour la première fois de son Éternité, il se mit à pleurer. »

Ses énormes larmes en tombant sur la Terre provoquèrent de multiples catastrophes. Ce fut la fin du Monde.

            Pour un temps…

 

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       On apprécie aisément le scénario du conte. Il est plaisant à découvrir au fil des pages. Il permet d’aborder les problèmes sérieux de l’existence de Dieu, de sa toute puissance, de la liberté de l’homme, de l’enseignement des « Envoyés de Dieu » et autres « Prophètes » de façon désinvolte.

       On a plus de mal à saisir toutes les subtilités de fond du sujet – sujet complexe que l’auteur domine par son érudition. Il fait apparaître la difficulté d’appréhender la Vérité à travers les contradictions et les malentendus évoqués tout au long de l’ouvrage.

            Il restera au lecteur à répondre en lui-même aux problèmes de l’existence de Dieu, de sa Toute Puissance, du Bien et du Mal, de la liberté, de l’égalité, et de la fraternité entre tous les hommes et finalement de la responsabilité de l’Homme, des Hommes.

 

L’auteur, né en 1933, scientifique de renom dans le domaine médical a passé les vingt dernières années à étudier les textes des religions monothéistes.

P.Q