Les avis sont partagés : l’espace, sous-entendu l’aventure spatiale, la conquête spatiale, fait-il encore rêver. Si vous posez la question à une personne occidentale qui a vécu en direct l’arrivée des premiers hommes sur la Lune, la réponse est quasiment toujours positive. Cela tient à « l’enchaînement » des causes et des réalisations, comme la mousse au chocolat pour les gourmands : une fois qu’on y a goûté, difficile de s’en passer.
D’un autre côté, il y a les désabusés qui s’intéressent de temps à autre au sujet et qui
conviennent que ce qui se passe au-dessus de nos têtes depuis 1998 n’est guère passionnant, sans doute parce que les expériences minutieuses réalisées à bord de l’ISS ne touchent pas aisément le grand public.
Et puis, il y a Mars !
Les mordus connaissent grosso modo les trois projets qui ont été présentés dans les
médias, pas toujours très bien mais la faiblesse de la culture scientifique des journalistes est une donnée persistante. Il y a Mars 500 de la NASA, opération pour laquelle une nouvelle proposition fut exprimée à l’été 2015 lors de la Convention annuelle de la Mars Society => « Gemini Mars » avec un équipage de deux personnes au lieu des quatre à six envisagées jusque-là, et, point d’interrogation, avec amarsissage ou simple contournement de la planète rouge.
Il y a aussi « Inspiration Mars » du milliardaire Dennis Tito, le premier touriste de
l’espace. Il s’agit d’envoyer un vaisseau contenant un couple (une femme – un homme) faire le tour de Mars et retour, à la manière dont furent exécutées les premières missions Apollo avant l’alunissage proprement dit en Juillet 1969.
Et puis il y a « Mars One », ce projet d’un consortium néerlandais qui consiste à envoyer une première équipe (six personnes ?) sur la planète rouge… pour s’y installer. Puis, quelque temps plus tard un deuxième équipage rejoint le premier, puis un troisième, etc… Parmi mes amis ingénieurs en aéronautique, astronautique et autre, parmi des planétologues, parmi des vulgarisateurs… il est de bon ton de railler le projet Mars One pour la faiblesse de ses ressources financières, la faiblesse supposée de ses moyens techniques…… Mais là n’est pas la question.
Le projet Mars One doit se comprendre mentalement, en mettant provisoirement
de côté les aspects techniques ; c’est un but qui correspond à une rupture, comme nous en découvrons régulièrement dans les Exercices de Prospective Exploratoire [EPE]. Il faut rapprocher ce but de ce que vécurent les Pilgrim Fathers au 17e siècle, fuyant l’absolutisme royal ou les persécutions religieuses. L’embarquement à bord du May Flower se faisait sans espoir, ni volonté au demeurant, de retour. Le physicien Freeman Dyson ne se contente pas d’être un des pères de l’électrodynamique quantique (disciple de Richard Feynman, Prix Nobel 1965),
il s’intéresse aussi aux motivations et aux aspects financiers des aventures de notre temps. Ses calculs montrent que la mise de fonds d’un ménage embarquant à bord du May Flower représentait environ la moitié du revenu de toute son existence [1]. L’investissement personnel était considérable et témoignait de l’attraction exercée par une terre inconnue, accessible au prix d’une traversée également hasardeuse de plusieurs mois.
Rapportée à notre époque, l’hypothèse de Dyson d’une mise de fonds de 850 000 Euro [# 1M$] est une base de calcul réaliste. Si nous prenons le revenu moyen d’un ménage européen – données Eurostat 2014 -, en mettant de côté les écarts entre les plus aisés et les moins aisés, nous obtenons un revenu de l’ordre de 30 000 Euro/an. Considérant une vie productive de revenu (activités et pensions) basé sur 60 ans (toujours données Eurostat), nous découvrons qu’en moins de trente ans, le ménage en question a dégagé l’équivalent d’un ménage du May Flower… pour s’en aller vers Mars sans volonté de retour… quels – que – soient – les risques, évidemment !
Faisant un flash-back historique, je rapproche ce qui vient d’être écrit à ce que vécurent dans des conditions tout à fait différentes, les Phocéens. Phocée est une ancienne cité grecque d’Asie Mineure, fondée par des continentaux du Péloponnèse, sur la côte de la mer Egée. Au 7e siècle av.-JC, les Phocéens fondèrent des colonies
dans différents lieux du bassin méditerranéen : Massilia (Marseille) en Provence, Agathe Tychè (Agde) en Languedoc, Emporion (Amparius) en Espagne… pour citer ces trois-là. Lorsque les Perses prirent la ville de Phocée en – 546, les familles aisées eurent le temps de fuir… et allèrent s’installer dans des colonies fondées précédemment, sans retour avéré.
Quant aux « coûts » du spatial, il faut à la fois bien avoir les ordres de grandeurs en tête et les comparer à des dépenses bien moins efficaces en matière de return on investment [2]. Ainsi de l’ISS mise en service en 1998 qui a coûté 150 G$ en seize années de fonctionnement, soit, rapporté au cours actuel, # 8 G€/an. En 2012, données INSEE, les seuls ménages français ont dépensé 48 G€ dans les jeux de hasard… dont les retombées concrètes sont bien imprévisibles, elles.
Oui, malgré tout, l’espace fait encore rêver.
Même un film comme Gravity – que je n’ai pas aimé – fait recette. Peu importe qu’il y ait du mercantilisme derrière, l’important est que la stimulation intellectuelle et émotionnelle subsiste, soit entretenue, et génère de nouvelles aventures motivées d’exploration, surtout parmi les jeunes générations. L’attraction terrestre est due à la gravité, l’attraction de Mars (et d’ailleurs) est due au rêve. [3]
[1] = Alain DUPAS, Demain, nous vivrons tous dans l’espace, Robert Laffont 2011.
[2] = Jean-François PELLERIN, 50 inventions tombées du ciel, Esprit du Livre 2010.
[3] = Richard HEIDMANN, Mars, une attraction irrésistible, Alvik 2005.
Liam FAUCHARD / FutureScan / Octobre 2015