« La campagne est vivante, comme lieu de vie et comme imaginaire. La pandémie de 2020 a encore accéléré ces tendances : vivre à la campagne serait « la » solution face aux crises sanitaires, écologiques, économiques ou sociales de nos vies citadines contemporaines. Pour aller au-delà d’un certain fantasme, Valérie Jousseaume réalise un état des lieux et remet la campagne en perspective. Elle interroge le rôle et les atouts des territoires dans la transition sociétale. Et, surtout, elle redonne aux ruraux une place d’acteurs dans ce changement de civilisation en cours.
Le livre déconstruit les cadres de pensée et les vocabulaires, pour sortir la « France périphérique » du cul-de-sac intellectuel où elle se trouve. L’ouvrage valorise la participation contemporaine de la ruralité à l’invention du nouveau monde par la convergence des mémoires, et propose un renouvellement de l’aménagement du territoire susceptible d’exprimer dans le concret des existences la transition culturelle en cours. Au cœur d’un monde où toute certitude a disparu, cet ouvrage s’appuie sur l’expérience rurale pour imaginer un futur désirable. »
Valérie Jousseaume
L’aube, 2021, 331 pages
Après la production d’un atlas des campagnes de l’ouest, les propos engagés de Valérie Jousseaume sortent volontairement des chemins classiques de la géographie pour proposer une voie/voix radicale à une ruralité désirée. L’angle du récit territorial emprunte en première partie le principe des ères d’évolution sur le temps long : l’ère sauvage, l’ère paysanne, l’ère moderne et l’ère de la noosphère. Cette dernière dépasse les analyses rétrospectives dédiées par exemples aux énergies ou à la société de l’information tel que les trois ouvrages références du sociologue et urbaniste Manuel Castells. En effet, l’ère de la noosphère est l’occasion pour Valérie Jousseaume de nous partager les facteurs de cette transition face à « l’échec de l’hyper-modernité » : relation à la nature, justice sociale – coopération, communs sociaux, sobriété heureuse… Elle a apporté cet éclairage convaincant lors de nos travaux avec la CRCI Pays-de-la-Loire pour alimenter la vision régionale à 2050 par le monde économique. D’autres auditoires ont été enthousiasmés par son approche sur l’urbanisme rural contemporain, que nous retrouvons notamment ici en vidéo grâce au CAUE Côte-d’Or.
L’énergie avec laquelle Valérie Jousseaume nourrit ce récit, fait acte d’une défiance à l’égard de l’urbanisation liée à la modernisation des modes de vie. Si sa critique de l’effacement de la notion du « rural » par l’INSEE semble avoir été entendu avec la publication récente d’une nouvelle approche de la ruralité, toutefois perfectible selon l’économiste O.Bouba-Olga, son intention dépasse le seul biais statistique. Sa remise en cause d’un certain « Leviathan » de l’urbain et du modèle centre/périphérie ouvre l’horizon d’un nouveau cadre conceptuel sur le rôle de la campagne.
Perçue comme un lieu d’habitat, cette ruralité désirée est décrite sous l’angle des besoins humains en réinterrogeant la célèbre pyramide de Maslow au profit de l’investissement des travaux de Kenrick et al. complétés par les réflexions d’Hannah Arendt. Ainsi, cette troisième partie apporte une profondeur conceptuelle à la notion de lieu habité en opposition à la segmentation des espaces par usages marquée par le prisme dominant, issu de la modernité, accordé au travail et à la consommation. La revendication de Valérie Jousseaume sur la « notion de ‘‘droit au village’’ réouvre une perspective pour interroger le lieu et la proximité physique dans la construction d’un collectif social ». Ainsi, elle nourrit la réflexion prospective sur la tendance sociétale, amplifiée avec la crise du CoVID19, de reconquête de la campagne par les classes créatives. En revanche, pas n’importe quelle campagne comme l’évoque le sociologue Jean Viard au travers de son analyse permanente de « l’esprit des lieux » dans ses ouvrages, dont le dernier où il met en évidence une estimation sur 2020-2021 que « 10% des français sont en train de changer de vie« .
Au travers de la figure du « Bo-Pro », par laquelle Valérie Jousseaume parle des classes créatives comme étant des « BOhêmes PROlétaires » et où nous relevons avec malice son inspiration maugeoise dans le terme proposé, elle met en lumière des initiatives sur le travail de mémoires engagé au sein des campagnes qui accompagnent cette transition sociétale. Ce « recyclage innovant » mobilise un extrait de Le Cheval d’orgueil, célèbre roman de P-J. Héliaz où la question de l’assimilation du rural par la modernité est traitée. Pour autant, cette histoire raconte aussi l’aspiration des habitants de la commune de Pouldreuzic (29) à bénéficier de plus de confort et à consentir de moindres efforts pour subvenir à leurs besoins. Envisager à présent un objectif général de « sobriété heureuse » renvoie au dilemme antique entre épicurien et stoïcien, où la figure contemporaine du « Bo-Pro » supposerait qu’elle soit une personne rationnellement sociable. C’est à ce stade de l’ouvrage que le concept de « Plouc Pride » prend toute son épaisseur, une fierté assumée d’être paysan jusqu’à présent trop ringardisé. A partir du déploiement d’exemples, Valérie Jousseaume interroge entre autres les modes d’aménager hérités de la modernité. Son nouveau statut d’élue locale en charge de l’urbanisme va nous donner l’occasion d’explorer avec elle, dans le cadre du PLUI de la CC Sèvre-et-Loire, comment emprunter des voies/voix innovantes de l’aménagement dans son territoire rural.