Pour une autre globalisation

 

La globalisation est appréhendée ici comme le moment économique, politique, et idéologique- d’une séquence géopolitique des rapports sociaux.

            L’auteur critique d’abord les ruptures que la globalisation actuelle introduit dans ces rapports. Les unes sont liées à une domination des rentes et de la valeur de l’argent, alors que d’autres sont davantage inscrites dans une histoire des impérialismes ou des colonisations. Leur rencontre est d’autant plus inédite qu’elle porte les prémisses d’une « désoccidentalisation » du monde.

            L’auteur brosse ensuite les perspectives d’une autre globalisation contre les politiques identitaires, ou celles qui prônent une compétitivité entre économies nationales. Il propose au contraire d’engager des chantiers transnationaux de coopération au service du développement durable et du bien commun, en privilégiant de vastes territoires comme l’espace méditerranéen.

 

Roland GUILLON

L’Harmattan – 2015 – 245 pages

 

Pour parler de la globalisation, l’auteur se penche particulièrement sur trois types d’activités; les syndicales, les politique et les artistiques. Prenant de la distance avec l’approche pour laquelle la globalisation déboucherait sur une homogénéisation sociale à l’échelle mondiale, il prône une étude multidimensionnelle car la globalisation n’élimine pas les formes anciennes des rapports sociaux.

Le processus de globalisation initié par les pouvoirs économiques et politiques entraine une diffusion des modes de production et de consommation occidentaux mais favorise aussi l’expression de communautés non occidentales. Il est nécessaire de situer les règles et les rôles de ces trois activités et d’interroger leur valeur économique autant que morale et même symbolique pour l’activité artistique.

L’activité syndicale incarne les fonctions de représentation collective des forces de travail. Le mouvement syndical se heurte à des remises en cause des cadres nationaux dans la définition des règles du travail.

L’activité politique est définie par rapport à la conquête et à l’exercice du pouvoir de l’état.les rapports entre le politique et l’économique évoluent entre un resserrement des liens au nom de l’intérêt général  et un desserrement au nom du libre échange.

L’activité artistique est le support et le révélateur de l’imaginaire d’un groupe ou d’une société.

 

Pour l’auteur, les Etats perdent de leur souveraineté face aux pressons des pouvoirs économiques et financiers partisans du libre-échange.

Les droits fondamentaux du travail sont défendus par les syndicats mais aussi par des ONG qui utilisent d’autres moyens de pression.

En Europe, la sous-traitance comme l’externalisation court-circuitent la chaine des droits. En Afrique, la guerre civile place des travailleurs dans des zones de non-droit hors de toute protection.

La « modernisation » des économies conduit les Etats à se défausser des activités rentables susceptibles d’être prise en charge par le marché. Dans les pays en développement les restrictions opérées sur l’emploi public, suivant les recommandations du FMI ont pour effet de relancer les activités informelles avec leurs lots de réseaux mafieux. La rente prospère sur la base de prélèvements opérés sur l’exploitation des matières premières et des productions agricoles d’exportation qui nourrissent tout un pan du marché spéculatif.

Pour l’auteur, on assiste au reflux des formes de négociations  collectives susceptibles de faire avancer les droits sociaux dans les pays du sud.

Face à la déréglementation mondiale, il est nécessaire d’intégrer de nouvelles manières de penser jusque dans la sphère des loisirs. Dans le domaine artistique, avec la valorisation du gain d’argent, le divertissement prend la place de la création.

S’appuyant sur deux concepts; les classes sociales et les communautés, le sociologue interroge les rapports entre l’individu et le collectif pour saisir les zones de tensions.

 

Les cinq pays membres permanents de l’ONU sont les principaux vendeurs d’armes du monde. La globalisation a favorisé les liens entre les fonds d’investissements privés et les activités militaro-industrielles. Cela représente une pénétration des intérêts économiques dans les agendas de souveraineté politique.

La globalisation soumet au marchandage et au régime de l’appropriation, des champs du vivant comme la biodiversité végétale ou la génétique animale et humaine.          L’appropriation plus large de biens vitaux comme l’eau, les aliments est autant plus violentes qu’elle s’effectue en parallèle à une croissance et à une urbanisation de la population.

De plus, la responsabilité et la compétence sont soumises aux canons de la compétitivité. Le travail collectif, contré par des formes individualisantes de contrôle, n’est pas valorisé. Les rapports parlent de « capital humain » comme de « minerai » pour la viande. L’idée d’ « employabilité » rend la personne responsable de son niveau de compétitivité.

La valeur d’usage d’un produit se réduit à sa valeur marchande, ce qui tend à aligner la conception d’un produit sur la projection de sa réussite commerciale.

Les sociétés civiles aujourd’hui sont traversées par des réseaux formels et informels mais aussi nationaux et transnationaux. On observe actuellement un reflux des formes d’identification de classe et une montée des formes communautaires ainsi qu’une diversification des modes de conflictualité. L’une comme l’autre sont le terrain de tensions pour chaque individu.

 

Les politiques de traitement local des demandeurs d’emploi, entreprises par les gouvernements de droite comme de gauche, en parlant d’ajustement et de coût, ont vidé les représentations de la vie économique de toute consistance politique. Le mouvement syndical propose de s’appuyer sur le « droit à l’emploi » pour contrer la prégnance des conceptions de compétitivité. Il cherche à défendre l’idée de participation à la définition des objectifs de l’entreprise et celle de cohésion sociale

Le sociologue doit tenir compte de la singularité artistique sans refouler les interactions qui la relient à la société. Le jazz des années 60 aux Etats Unis illustre cette fusion entre des composantes esthétiques et sociales, à la fois communautaires et cosmopolites. L’artiste se doit de transcender les canons dominants. Quelle place y tient la libre concurrence et la profitabilité financière ?

L’intérêt général est supposé être défendu par l’état mais la conception de celui-ci est variable, fonction de l’évolution des expressions identitaires et politiques. L’idéologie du service public inspirée de celle de l’intérêt général ou du bien commun est aujourd’hui liée à l’idéologie du marché et tend à mettre l’usager en situation de client.

 

Pour l’auteur, les syndicats sont sensibles au développement durable et prennent en compte  les registres aussi bien économique et politique qu’écologiques. Ils luttent contre l’externalisation des coûts résultants des dégâts ou des pollutions, sur la collectivité.

Passant de la sécurité de l’emploi à la « flexisécurité » pur explorer la notion de risque, l’auteur fait référence aux idées de U. Beck sur l’importance grandissante de la dimension assurancielle et donc de la responsabilité individuelle.

 

 

 

 

 

Le concept actuel de gouvernance pour parler de la manière de gérer l’entreprise étouffe l’idée de développement social et s’éloigne de l’idée de bien commun qui se transforme alors en régulation de la coexistence d’intérêts particuliers. De même en d’autres lieux, la mise en avant du micro crédit comme moyen de sortir de la pauvreté place les personnes dans des positions individuelles de responsabilité et fait l’impasse sur les rapports de production.

La montée de la pratique religieuse dans les pays de l’est d l’Europe peut être comprise comme liée à une extension de la  liberté d’expression  mais aussi comme une compensation face aux bouleversements sociaux liés à l’introduction de la concurrence économique.

Comme pour les conceptions scientifiques qui sont passées de l’idée que la nature est un ordre à l’idée de diversité et de désordre, l’art contemporain a intégré la notion de chaos pour dynamiser une vision statique des harmonies et des rythmes. Cette rupture a été suscitée par l’ouverture de l’imagination à d’autres univers tel le monde scientifique ou les civilisations asiatiques, océaniennes, africaines.

 

Des espaces de créativité autonome ont résisté aux pressions tant religieuses que politique ou économique. Actuellement, la globalisation financière exerce une pression intense à travers la diffusion des œuvres. Des réseaux existent entre les fonds financiers, les espaces d’exposition et les salles de ventes .Hong-Kong et Pékin se révèlent de nouvelles places du marché de l’art.

 

L’auteur espère une orientation vers une autre globalisation.

Il insiste sur l’importance de la création artistique comme vecteur d’expression symbolique des forces sociales. L’intérêt pour l’idée de capital social a permis de voir d’autres liens que les liens financiers, professionnels ou corporatistes. Il se retrouve aussi bien dans la famille, l’école, l’entreprise. Cette notion ne refoule pas les tensions entre capital et travail, mais permet d’envisager des rapports sociaux plus larges.

Dans le cadre de la globalisation, un modèle comme la cogestion qui comme en Allemagne permet des négociations entre employeurs et syndicats abordant des domaines comme l’emploi mais aussi le partage de la valeur ajoutée et les investissements, se trouve fortement remis en cause. De même le courant de l’autogestion d’actualité dans les années 70, a été largement submergé par la globalisation financière. Un avatar inspiré de la philosophie pragmatique et utopique est de vouloir resserrer la production et la distribution en vue de satisfaire des besoins collectifs sous forme d’échanges solidaires mais les formules proposées ont du mal à décoller d’un palier local.

La relation établie entre la recherche, le progrès technique et l’activité ne s’inscrit pas seulement dans une approche économique, elle participe à la philosophie de la société. La recherche du bien commun impliquerait de projeter ces questions de progrès technique et d’innovation à une échelle territoriale susceptible d’être efficace.

 

L’auteur évoque les diverses contorsions qu’effectue le parti socialiste français et les syndicats pour coller à une idéologie antérieure tout en se pliant aux dictats de l’économie transnationale. La situation des partis socialistes européens n’est guère plus brillante.

Ces évolutions aboutissent à polariser les vertus de l’action publique sur la recherche d’une pseudo-valeur qu’est la croissance er repoussent comme utopiques des objectifs comme la réduction des inégalités ou la transformation du travail.

Nombre d’entreprises privilégient la recherche-développement au détriment de la recherche fondamentale. L’état se retrouve seul pour financer cette dernière dans le cadre militaro-industriel. L’électronique militaire et le traitement de l’information sont les principales cibles de cette recherche.

 

 

 

Dans le domaine de la créativité artistique s’appuyant sur son étude du jazz des années 50-60, Roland Guillon pense qu’actuellement les échanges entre musiciens de jazz sont plus superficiels. On peut même parler de fausse hybridation comme certains traits d’une world music qui mêlent des inspirations diverses au gré des labels discographiques.

L’auteur, sans vouloir présager de l’évolution de l’union européenne et de la zone euro, ne se satisfait pas d’une politique qui n’ouvre pas d’horizons, par exemple vers l’Orient ou l’Afrique. Pour lui les activités artistiques permettent de tester les rapports entre l’ouverture, le cosmopolitisme et l’approfondissement.

 

Face à un reflux de l’innovation au profit d’une vision marchande à court terme de la part des dirigeants européens, l’auteur s’intéresse à  l’idée d’une très grande Europe qui inclut tous les pays riverains de la Méditerranée et qui se propose de favoriser des politiques de recherche fondamentale et de ré-industrialisations.

 

Pour l’auteur, l’action publique doit servir les droits et donc s’opposer aux activités informelles et leur financement. Elle doit aussi se pencher sur la consommation d’énergie et les pollutions qui découlent de l’industrie; elle doit rechercher la sécurité des produits ainsi qu’une nouvelle approche de leur durée de vie.

La formation donne lieu à des investissements de la part des fonds de pension, aux dépens du bien commun, en s’appuyant sur l’idée, en cette période de chômage de masse, de formations adaptées au marché. Comment concevoir des programmes de formation transnationaux alors que la compétitivité inter-Etats est à l’œuvre. L’auteur questionne l’idée selon laquelle les pays technologiquement avancés devraient tout faire pour conserver cette avance.

Il reprend le thème de l’unité historico géographique des rives de la Méditerranée et réfléchi aux formes de coopération scientifiques et technologiques à mettre en place pour faire par exemple face à la pollution de cette mer fermée. Il questionne les fonctions parfois opposées qu’occupent les diasporas, agent de développement autant qu’instrument d’ingérence.

 

Sortir du cadre national concerne aussi la création et nombre de musiciens contemporains ont dans le jazz pratiqué des ouvertures en la matière d’harmonie et de rythme avec toute la complexité qu’implique une innovation qui intègre des éléments extérieurs à un terreau qui reste vivant.181

 

L’auteur souhaite situer par une approche sociologique des rapports sociaux, la « désoccidentalisation » du monde dans le cadre de la globalisation financière et d’un mouvement de recul de l’hégémonie des États occidentaux, tenant compte de l’implosion du bloc soviétique, de l’effondrement de l’Irak et de la Syrie et du poids de l’OTAN. à son avis, l’énormité du poids de la globalisation en regard de celui de toute négociation avec les syndicats paraît sans appel. Une vision globale, en termes d’intérêt général où de bien commun, souvent nationale est soumise à une échelle transnationale. Le modèle de l’état social est battu en brèche.

Pour lui, la sociologie doit s’ouvrir à la pluridisciplinarité, croisant ses valeurs avec celles de l’histoire, l’économie politique…

 

En conclusion, R Guillon propose d’essayer un autre type de globalisation plus en phase avec le bien commun, celui-ci ne correspondant pas à une homogénéisation mais devant créer de nouveaux espaces de coopération. Les acteurs de la globalisation et leurs relais politiques suscitent contre eux des formes de mobilisations hostiles. Les unes portent en elles les réactions de colère et de désespoir face au reflux de la valeur travail, tandis que d’autres revendiquent un retour à des valeurs ethniques ou religieuses intégristes. Les valeurs républicaines et sociales sont assimilées au creuset du libéralisme.

 

L’intervention publique dans une approche plus large devrait lancer de grands chantiers inter-états au service du bien commun et de la durabilité par exemple dans le bassin méditerranéen. Du levant au Sahel, la résurgence des valeurs les plus traditionnelles inspire des confrontations violentes contre les valeurs occidentales et le pouvoir local souvent relai de ces valeurs. Mais définir les valeurs du bien commun impliquent une lecture critique des droits de propriété et une attention à l’histoire en longue période.

 

L’auteur propose trois socles : la valeur travail, celle de l’éducation et celle d’une éthique de justice. Pour inventer de nouvelles perspectives, il espère une prise de conscience d’une partie des dirigeants et des créateurs avec l’apport consistant d’une mobilisation collective s’appuyant sur des aspirations. Instaurer et multiplier des coopérations dans une perspective cosmopolite lui paraît une nécessité.

 

Renvois :

 

¤ Dani RODRIK, Nations et mondialisation – FW N°36.

 

¤ Frédéric MARTEL, Mainstream / Industries culturelles mondiales – FW N°37.

 

¤ Mark LEONARD, Pourquoi l’Europe dominera le 21e siècle – FW N°41.

 

¤ Edwin ZACCAI, 25 ans de Développement Durable, et après ? – FW N°42.

 

¤ Gérard CHALLIAND, Vers un nouvel ordre du Monde – FW N°48.

 

¤ Alan WEISMAN, Jusqu’où pourrons-nous être trop nombreux ? – FW N°53.

 

¤ Franck BIANCHERI, Crise mondiale – En route pour le Monde d’après – FW N°55.

 

 

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