Une question de taille

Pourquoi les araignées géantes des films d’horreur ou les Lilliputiens que découvre Gulliver au cours de ses voyages ne se rencontrent jamais « en vrai » ? Parce que dans la réalité, la taille n’est pas un paramètre que l’on pourrait fixer à volonté : chaque être vivant n’est viable qu’à l’échelle qui est la sienne. En deçà ou au-delà, il meurt, à moins qu’il ne parvienne à se métamorphoser. Il en va de même pour les sociétés et les cultures. La plupart des crises contemporaines (politiques, économiques, écologiques, culturelles) tiennent au dédain affiché par la modernité pour les questions de taille.

Nous mesurons tout aujourd’hui, des volumes de transactions à la bourse au taux de cholestérol, de la densité de particules fines dans l’air au moral des ménages. Mais plus nos sociétés se livrent à cette frénésie de mesures, moins elles se révèlent aptes à respecter la mesure, au sens de juste mesure. Comme si les mesures n’étaient pas là pour nous aider à garder la mesure mais, au contraire, pour propager la folie des grandeurs.

Olivier REY
Une question de taille
Stock – 2014 – 275 pages

            Curieux livre.

           L’envoi agglomère tout une série de poncifs que l’auteur n’a manifestement pas vérifiés sur les ressources épuisées, les énergies en rupture, le réchauffement climatique uniforme, la démographie effrénée, sauvons la Planète (sic)… ce qui, de facto, conditionne la tonalité de la première partie du livre. D’autres exemples cités hâtivement ne font que renforcer le doute du lecteur quant à la crédibilité des faits avancés ; il en va ainsi de la durée moyenne de trajet domicile-travail qui aurait augmenté plus vite que la diminution du temps de travail, ce qui est faiblement constaté et pas du tout en milieu rural ou semi-urbain.

            Le chapitre II est essentiellement consacré à une relecture, représentation des travaux du centre de Cuernavaca durant les années 1970 sous la direction d’Ivan Illich. On y retrouve les thèmes abordés comme l’école, la santé, les transports, le couple chômage-travail, etc. Pour faire court, disons que les reprises n’apportent pas de nouveautés propositionnelles de portée pratique. Pour ce qui est des transports par exemple, l’auteur cite les calculs d’Illich comme quoi, tout compte fait, notre mobilité est de l’ordre de 25 km/h, c’est-à-dire, pour Olivier Rey, qu’il faut se contenter de la bicyclette.

            Pour l’auteur, c’est l’unification politique des vastes territoires qui, en pompant toutes les énergies vers quelques centres énormes, a rendu stérile toute entité de moindre taille. A notre époque qui se targue tant de priser les différences, il serait temps de s’apercevoir qu’un monde organisé à petite échelle est un monde divers, un monde où il y a place pour plusieurs mondes : l’exotisme est plus grand et plus proche. Le multiculturalisme des gigantesques sociétés contemporaines prétend mettre la diversité à portée de main. Mais le multiculturalisme est en réalité, et par la force des choses, un anti-culturalisme ou, au mieux, un multi-sous-culturalisme : il n’y a plus en effet, en sus de règles minimales de coexistence et des appareils policiers et judiciaires qui s’emploient, avec plus ou moins de succès, à les faire respecter, que le commerce pour transcender l’hétérogénéité des modes de vie en un même lieu. Enchantez-nous de la diversité : nous sommes tous un dans l’économie de marché. Celle-ci occupe alors la place centrale et déterminante, encensée par le Capital, et toutes les cultures, ainsi satellisées, s’en trouvent dévitalisées. Les tenants ignorent la question de la distance adéquate pour un rapport fécond : en deçà d’une certaine distance – non définie par O.R. – c’est la volonté de prendre ses distances qui domine – de sorte qu’en même temps que les différences culturelles s’affaiblissent, les différentes communautés s’ignorent, se retranchent ou s’affrontent.

            Plus loin, l’auteur fait l’éloge de la « proportionnalité », toujours en référence aux travaux d’Illich et en citant aussi « Small is beautifull » [Ernst Friedrich Schumacher – 1973] et « The breakdown of nations » [Léopold Kohr – 1957].

            Il est compréhensible de rechercher la taille optimale d’un Pays, d’un territoire, d’une communauté humaine, d’une entreprise… mais de là à établir un credo uniforme valable en toutes circonstances, ça perd énormément de son opérabilité (ainsi, le mode fédératif est assurément le meilleur mode d’organisation pour gérer les mutations de la Société de L’Information, mais il ne l’est pas dans l’absolu. D’autres mutations révèleront la pertinence d’un autre mode, etc.).

            Devant les dégâts provoqués par la démesure des sociétés contemporaines et les menaces qui s’accumulent –O.R. ne dit pas lesquelles -, la nécessité de renouer avec la limite est en passe de devenir un lieu commun. Pourtant ce constat reste sans force, tant nous nous trouvons démunis lorsqu’il s’agit de consentir collectivement à quelque limite que ce soit. Il y a même ceux pour qui l’être humain est infiniment transgressif ou n’est pas. Il y a ceux qui admettent que certains seuils ne doivent pas être franchis mais, quand il s’agit de savoir où situer ces seuils, impossible de s’entendre. L’auteur écrit aussi « que le monde n’est pas invariant en changeant d’échelle, le nœud entre quantité et qualité se révélant impossible à défaire ». Il n’a visiblement pas connaissance des combinatoires entre des fractales et La Démarche Prospective.

            Reprenant les travaux d’Auguste Comte et de Léopold Kohr, Olivier Rey donne des indications de ce que serait la bonne taille d’une ville, d’une nation, d’un Etat… La citation de LK est « n’importe quel petit État, qu’il soit une république ou une monarchie, est par nature démocratique ; n’importe quel État de grande taille est par nature non démocratique. »

            Le Chapitre VII s’intitule « La limite introuvable », résumant assez bien tout le pessimisme des longues pages précédentes. Il faut attendre la page 205 pour avoir réponse à la question que le lecteur se pose depuis le début du livre : où l’auteur veut-il en venir ? Réponse = la décroissance ! Ite missa est.

            La messe est dite presque formellement tant il est difficile de ne pas ressentir à la lecture de ce livre des relents passéistes, voire réactionnaires, accompagnés de temps à autres de mysticismes curieux et de références bibliques dont il est peu aisé de saisir en quoi, textes circonstanciels méditerranéens masculins, ils sont d’une pertinence quelconque pour résoudre les questions qui se posent à un Globe qui compte déjà plus de sept milliards de Terriens… à moins de décider de décroître démographiquement… très rapidement.

            Question pratique : où vit/habite l’auteur ?

LF

Renvois :
¤ Vincent CHEYNET, Le choc de la décroissance – FuturWest N°29
¤ Bernard STIEGLER, Pour en finir avec la mécroissance – FuturWest N°35
¤ Günter PAULI, Croissance sans limite (ZERI) – FuturWest N°36
¤ Benjamin DESSUS, Peut-on sauver la Planète sans toucher à notre mode de vie ? – FuturWest N°39
¤François GERVAIS, L’innocence du carbone – FuturWest N°49