« Pour résoudre les problèmes de mobilité : le transport collectif !
Contre la crise du logement : tous propriétaires !
Il faut lutter contre l’étalement urbain !
Pas de vivre-ensemble sans mixité résidentielle !
La proximité refonde les liens sociaux et politiques !
Pour mieux gérer les territoires, changeons leur périmètre !
L’architecture fait la ville !
Ces croyances d’un autre âge appartiennent à la France des Trente Glorieuses, qui se voyait encore rurale et opposait la ville à la campagne. Elles ignorent les réalités d’un XXIe siècle urbain, mobile, connecté, et sont inadaptées aux exigences environnementales. Érigées en dogmes, elles continuent pourtant de gouverner les villes et les territoires. Jean-Marc Offner les déconstruit une à une une pour nous permettre de penser la ville de demain.
Anachronismes urbains
SciencesPo Les Presses, 2020, 199p.
Bousculés dans notre rapport au temps pendant cette crise sanitaire du Coronavirus, nous aurions pu croire que ces 7 croyances de l’action publique en matière de pensée urbaine seraient le fruit d’une analyse menée en cette année 2020. Il n’en est rien. Jean-Marc Offner a su faire preuve d’anticipation pour souligner « l’impasse cognitive » du raisonnement sur l’urbain et mettre en avant des références pour encourager à une approche plus décloisonnée.
Synthèse sur la croyance n°1 / Son approche des mobilités mobilise des ordres de grandeur du partage modal des déplacements urbains des agglomérations françaises : 10% à 15% pour les transports collectifs et 3% à 6% pour le vélo. Derrière ces chiffres, souvent totems d’objectifs de politiques publiques, Jean-Marc Offner prend le temps de décortiquer leur composition pour révéler les leviers d’une mobilité plurielle : l’importance de considérer les chaînes de déplacement en plusieurs modes combinés, la mise en place de politiques temporelles, la mutualisation possible de véhicules privés grâce au numérique … Voilà autant d’axes mis en avant lors des ateliers de prospective sur les mobilités en Bretagne en 2035, que nous avons animés dès 2015 avec Stratys, en invitant notamment Jean-Christophe Chadanson partenaire de l’auteur à l’Agence d’urbanisme de Bordeaux.
Synthèse sur la croyance n°2 / »80% des propriétaires en maison en individuelle, et 80% des maisons individuelles occupées par des propriétaires« . Ce désir d’habiter « chez-soi » est d’autant plus goûté en période d’isolement, mais cette recherche de logement ne doit pas faire oublier que la majorité des transactions immobilières se réalise dans le parc ancien. Alors que les logements HLM des années 1960/1970 ont été progressivement mis à « plat » avec le tissu pavillonnaire, Jean-Marc Offner signale que les fameux propriétaires sont pour une grande partie les « locataires des banques« . Cette dimension sociale, encore plus forte avec les 15 millions personnes touchées par la crise du logement en France en 2019 selon la fondation Abbé Pierre, révèle toute l’importance des Plans Locaux d’Habitat pour faciliter une territorialisation de l’action publique. Point que nous partageons pleinement au côté de nos partenaires de Guy Taïeb Conseil (GTC).
Synthèse sur la croyance n°3 /« L’injonction par trop totalitaire (du) zéro artificialisation nette (des sols) » – le ZAN ! – risque d’annihiler toute capacité à faire projet face à cette interdiction. S’inquiéter de la pression mise sur les terres agricoles va de pair avec les programmes de revitalisation « coeur de ville », « petite ville de demain » ou d’un autre nom. Nous rejoignons l’encouragement à sortir des démarches trop cloisonnées en planification urbaine (SCoT, PLUi) ou de projets urbains formatés. De nouvelles grilles d’analyse avancent dans ce sens, comme l’ouvrage remarqué du nantais Sylvain Grisot sur l’Urbanisme Circulaire. Et même en cette période de crise de 2020, des propositions iconoclastes de politiques publiques sont suggérées, à commencer par celle d’Esther Duflo (prix de la banque de Suède en sciences économies en mémoire d’Alfred Nobel en 2019) de considérer les commerces de centre-ville comme des biens publics.
Synthèse sur la croyance n°4 / »Urbanités » le mot est posé en entrée de ce chapitre IV ! Terme clé des urbanistes, il s’accorde au fil du temps avec le « vivre ensemble », les « mixités sociales », la « proximité »… etc.. sans oublier la « résilience » et les « biens communs ». Derrière ces mots-concepts très (trop ?) utilisés, il est important de revenir aux fondamentaux tels qu’avec Roland Barthes invité dans l’ouvrage : « A quelle distance dois-je me tenir des autres pour construire avec eux une société sans aliénation ? » Question posée en 1977 – encore plus d’actualité face aux gestes barrières anti-Covid19 et à l’ambiance sociale sécuritaire – elle révèle l’importance de sortir du statique et des zonages, pour traiter des flux. De fait, nous rejoignons dans nos modes d’accompagnement l’encouragement de Jean-Marc Offner à mettre en place des marches exploratoires ancrées dans les territoires et concertées avec les acteurs locaux.
Synthèse sur la croyance n°5 /En réponse aux mouvements des gilets jaunes, le « besoin de proximité » est apparu comme une évidence à l’issue du Grand Débat présidentiel de 2019. L’obligation de vivre dans son aire de proximité pendant les confinements de 2020, délimitée à 1km autour de chez soi (puis 20km), met davantage en tension notre rapport direct au niveau de ressources présentes dans notre environnement proche (services, commerces, espaces verts et nature…). Là, l’ouvrage effleure le potentiel des solutions numériques (télétravail, impression 3D…) pour mieux se concentrer sur l’enjeu de la connexité entre citoyens vivant un territoire. « Une fois encore cela requiert de sortir du zonage pour regarder les flux« , de s’intéresser aux usagers et pas qu’aux résidents, fustigeant ainsi « la République du Sommeil » (selon l’expression de Jean Viard).
Synthèse sur la croyance n°6 / »Un espace traversé par des individus et des ménages mobiles ne se gouverne pas comme des communautés rurales d’Ancien Régime« . Cet emprunt à Philippe Estèbe sert de transition vers la partie dédiée aux « Interdépendances et coopérations ». Dressant la liste des zonages et autres espaces de gestion propres à chaque service ou activité, la quête insensée du territoire pertinent revient à une constante recomposition des espaces publics locaux aux motifs de la modernisation et des économies d’échelle, pendant que la stabilité dans la longue durée est de rigueur pour l’Etat-Nation. La convocation des philosophes qui ont traversés l’histoire (Aristote, Descartes, Rousseau, Foucault, Deleuze) ne permet pas de dépasser ces emboîtements de territoires délimités telles les « poupées russes de la planification » : SRADDET > SCOT > PLU-I > ZAC > PC. Cette hiérarchie des échelles demande à être transcendée par les réseaux de mobilités, les continuités écologiques, les filières économiques, les parcours de formation, les dimensions historique et patrimoniale… Au final, révéler les vocations et spécificités d’un territoire appelle à une mobilisation culturelle de grande ampleur pour montrer les complémentarités avec les espaces voisins.
Synthèse sur la croyance n°7 /A force de parler de l’urbain dans cet ouvrage en tant qu’espace construit, Jean-Marc Offner reprend l’idée d’Henri Gaudin – « les vides comme espacements sont ce par quoi les choses sont reliées » – pour souligner avec plus de vigueur l’importance de considérer les vides dans l’espace comme base des liens et non comme simples lieux. Pour apprécier et magnifier ces vides, les urbanistes et architectes sont invités à appeler au renfort des compétences complémentaires : paysagiste, designer des services… liste que nous pourrions compléter à l’envie, avec certes les prospectivistes, et aussi les écologues, historiens et même artistes. En effet ces derniers sont forts précieux, puisqu’il revient « moins d’aménager un territoire que de chorégraphier les mouvements des vivants« .
La citation de Tocqueville rappelée en conclusion (« Une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de puissance dans le monde, qu’une idée vraie mais complexe« ) date de 1835, mais elle ne souffre pas d’anachronisme au regard des expressions médiatiques qui galvaudent la façon de penser le projet urbain dans nos actualités. Jean-Marc Offner encourage ses pairs à l’innovation, à commencer par la Fédération Nationale d’Agences d’Urbanisme (FNAU). Gageons que la 41e rencontre de la FNAU en ce début décembre 2020, avec l’implication de l’ADEUPa, tienne toutes ces promesses prospectives avec son titre : « Explorons nos futurs » !
Merci à Jean-Marc Offner.
S’il fallait résumer, nous pourrions en appeler à une « politique des rythmes » (temporels et spatiaux) davantage qu’à des réponses binaires et à une « ville malléable et réversible »…
On en parle ?
Bonjour et merci pour votre complément. Oui, dépasser les approches binaires par du complexe, du complet, du cohérent et de l’incertain est nécessaire. Les intitulés de vos travaux sur les temps urbains semblent indiquer que vous vous appuyez aussi sur la géographie pour faciliter les rencontres et les liens de jour comme de nuit. Au plaisir de poursuivre l’échange.