A l’ère du numérique, le prisme ancestral de l’hospitalité nous invite à repenser la « condition numérique » et l’accueil que nous lui réservons, ainsi que la manière dont nous articulons la rencontre avec autrui. Les réseaux sociaux, les applications et les formulaires en ligne, et, plus généralement, la rencontre avec l’inconnu à travers des écrans de tous genres nous rappellent les notions de l’ « invité-favorable », l’ « invité-ennemi » et l’ « otage », tous réunis dans le mot « hospitalité ».
Le digital est entré dans l’ADN de l’entreprise depuis longtemps. L’Hospitalité digitale inicite à se poser les questions fondamentales sur les valeurs que l’entreprise veut transmettre par et à travers ses pratiques numériques. L’Hospitalité digitale devient ainsi un nouveau prisme pour le marketing en ligne. Là aussi, la double signification du mot « hôte » nous confronte avec l’ « invité-accueillant » et l’ « invité-accueilli ».
Comment articlier l’accueil de celui que nous ne connaissons pas encore, pour faciliter la réception de l’autre qui vient vers nous par voie digitale. Pour que la rencontre avec cet « étranger » se passe dans de bonnes conditions, nous devons au moins repenser tous les éléments de celle-ci. Au-delà d’une réflexion sur les manières de minimiser l’intrusion, le concept d’Hospitalité digitale essaie de repenser totalement l’approche marketing. Elle est essentielle si nous décidons de travailler pour de vraies personnes et non pas pour des cibles abstraites. Nos clients actuels et futurs peuvent être des étrangers lorsqu’ils frappent pour la première fois à notre porte digitale, ou à l’inverse, quand nous frappons à leurs portes numériques. Mais d’une manière ou d’une autre, nous allons faire connaissance et éventuellement démarrer une relation commerciale. Et si possible, sans y perdre notre âme.
Beer Bergman travaille dans les métiers d’Internet depuis une vingtaine d’années. Elle a enseigné dans plusieurs établissements de l’enseignement supérieur et formé des centaines de professionnels à concevoir leurs stratégies marketing digitales. Elle publie et intervient en tant que conférencière et formatrice sur ces sujets.
Bienvenue à l’Hospitalité Digitale, le nouveau prisme du marketing en ligne
Éditions KAWA, 2018, 251 p.
Le rituel de l’accueil, porté par l’idée centrale de l’Hospitalité, est bouleversé à cause de l’interaction avec la machine. Cette mutation est fondamentale, au point d’inviter Beer Bergman à mobiliser des références philosophiques, comme Levinas, sortant de fait d’une approche stricte du marketing : « Le regard de l’autre nous permet d’exister ». Quelle est cette mutation du ‘regard’ via le prisme de l’écran ?
L’expérience de terrain acquise par Beer Bergman, notamment par la formation au numérique dans le champ du tourisme, apporte une description fine de la montée en puissance de ces technologies au profit à terme d’un accueil sur-mesure des visiteurs. Le site internet vitrine vantant le « beau territoire » apparaît telle une carte postale du passé, puisque le système d’informations repose sur une collecte de données dans le but d’apporter un « internet de séjour » hyper-personnalisé agrémenté de rencontres physiques désirées. La dimension collaborative portées par les plateformes de type Airbnb en est les prémices où l’intérêt est la collecte et le profilage des touristes et accueillants.
La constitution de modèles prédictifs, à la base de solutions personnalisées, suit une évolution de l’accueil dans l’économie marchande marquée par la « McDonaldisation » – standardisation de l’accueil et du produit – puis, la « Disneyfication » – muséification et offre ludique – et, l’étape en cours de l’ « Ubérisation » – l’usager est producteur de services. Ce processus accorde une place forte à la collecte d’informations sur les usagers/clients. La data rassemble les fréquences de visite, de clics, de relations, de localisation, d’humeur, de niveau d’engagement… etc … sans oublier les éléments de base des profils : âge, sexe, CSP, coordonnées. Si seuls ces derniers font l’objet du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) auquel est soumis tout site internet depuis 2018, l’accumulation de data dépasse ce cadre législatif au profit du croisement d’un ensemble de technologies numériques… jusqu’à la perspective d’humanoïde. L’expérimentation décrite dans l’ouvrage de ces derniers à l’accueil d’un hôtel au Japon montre en quoi le management par la donnée vient modifier ce rituel de l’accueil.
La maîtrise de son identité numérique apparaît dès lors au centre des rapports sociaux. Le rappel de la faible fraction du temps de vie consacré au travail, 9% selon les travaux du sociologue Jean Viard, signale une rupture dans notre rapport aux activités par rapport à l’origine de la société industrielle initiée au XIXe siècle. Le travail pour subvenir à ses besoins primaires est dépassé, disposer d’un accès au réseau numérique devient presque un droit vu l’effort d’investissement public mis sur le déploiement de la 4G et de la fibre optique. Dès lors, la gestion de son profil en ligne et hors ligne devient clé au profit des rapports sociaux de réciprocité et de réputation. Cette approche dans le marketing s’expérimente à partir de la méthode des Persona, qui nous renvoie directement à notre outil « Petites et Grande Histoire » utilisée dans nos démarches d’accompagnement des territoires avec le groupement PLUREAL. Cibler les futurs comportements des usagers d’un espace implique de détourer les capacités futures du territoire vécu, à savoir pour rejoindre les propos du livre c’est une approche de marketing expérientiel.
Nous retrouvons dans cet ouvrage de Beer Bergman l’état d’esprit de la prospective. Elle souligne l’intérêt de prendre conscience des visions respectives de chacun, de valoriser les réalités tout en pondérant le poids des émotions. En effet, le numérique apporte une chambre d’écho au sensationnel dans un but de capter de l’audience. Ce miroir digital de la société a une capacité de déformation du réel comme l’atteste le concept de « post-vérité ». C’est face à cette dérive que Beer Bergman invite à un changement radical du web à partir de plus de coopération, de conditionnel, d’empathie, d’organisation informelle, de responsabilité et d’engagement. Elle propose l’Hospitalité digitale au profit d’une société en transition !