Cerveau, sexe et pouvoir

Les femmes sont-elles « naturellement » douées pour le langage et les hommes bons en maths ? Nos aptitudes et nos personnalités seraient-elles inscrites dans le cerveau dès la naissance ? Les recherches récentes montrent au contraire que, grâce à ses propriétés de plasticité, le cerveau fabrique sans cesse de nouveaux circuits de neurones en fonction de l’apprentissage et de l’expérience vécue. Rien n’est jamais figé dans le cerveau. C’est une véritable révolution pour la compréhension de l’humain.
Cet ouvrage, réédité, s’est imposé comme une référence ; il replace le débat autour
de la différence des sexes sur un terrain scientifiquement rigoureux. Il s’appuie sur les avancées des neurosciences qui apportent un éclairage nouveau sur le rôle de la biologie et de l’environnement socio-culturel dans la construction de nos identités de femmes et d’hommes. Notre destin n’est pas inscrit dans notre cerveau !

Catherine VIDAL (et Dorothée BENOIT-BROWAEYS)
Cerveau, sexe, pouvoir
Belin – 2015 – 160 pages
À l’âge adulte, on se retrouve avec un million de milliards de synapses qui relient
nos cent milliards de neurones. En moyenne, chaque neurone est en communication avec dix mille autres. Dans le même temps, 6000 gènes interviennent dans la formation du cerveau ; cela signifie que les gènes ne peuvent pas à eux seuls contrôler la formation des milliards de synapses du cerveau.
Les images du cerveau fascinent. Voir des régions qui « s’allument » différemment
chez les hommes et les femmes laisse penser qu’on détient enfin la clé qui va permettre de comprendre nos différences. Mais ces images ne sont que des représentations instantanées du fonctionnement cérébral. Elles ne disent rien sur l’origine des différences ; car le fonctionnement du cerveau n’est pas fixé une fois pour toutes ; il évolue en permanence en fonction des évènements vécus par l’individu.
La vision déterministe fixant des rôles spécifiques féminins et masculins est en totale
opposition avec nos connaissances scientifiques. Mais les idées reçues ont la vie dure. Le 19e siècle était celui des mesures physiques du crâne ou du cerveau, qui ont été utilisées pour expliquer la hiérarchie entre les sexes, les races, les classes sociales. Les critères modernes du 20e siècle sont des tests cognitifs, l’imagerie cérébrale et les gènes. Autrement dit, des examens les plus objectifs possibles.
À l’heure actuelle, la théorie des deux cerveaux est tombée en désuétude. Le fonctionnement du cerveau y est décrit de façon beaucoup trop simpliste au regard des nouvelles données de l’imagerie cérébrale. Celles-ci révèlent que les deux hémisphères sont en communication permanente et qu’aucun ne fonctionne isolément. De plus, une fonction n’est jamais assurée par une seule région, mais plutôt par un ensemble de zones reliées entre elles en réseaux. Ainsi, le langage mobilise non seulement l’aire de Broca de l’hémisphère gauche, mais aussi une dizaine d’autres aires cérébrales qui se répartissent à la fois à gauche et à droite.
Ces résultats montrent combien le cerveau est malléable en fonction des apprentissages. C’est avant tout l’expérience individuelle qui oriente les stratégies cognitives et pas le sexe.

Entretenir l’idée qu’un jour on puisse disposer d’un traitement spécifique du
comportement suicidaire n’est pas anodin. C’est contribuer à renforcer l’idée d’un substrat biologique déterminant dans l’émergence des idées morbides. C’est aussi un moyen commode de régler un problème éminemment complexe, en évacuant le contexte familial, social, économique, éducatif dans lequel s’inscrit le comportement suicidaire. Nous savons pourtant, depuis Emile Durkheim, fondateur de la sociologie, le rôle primordial de l’environnement dans le suicide. On y trouvera la religion, la culture, le mode de vie, le statut familial, le statut social…etc…

En épilogue de ce petit livre remarquable de concision et de pédagogie, les auteures
interpellent la gent scientifique. Elles estiment nécessaire que dans les grands enjeux posés par les manipulations génétiques, le changement climatique, et bien d’autres domaines, il est important que les chercheurs interviennent dans les débats publics – encore faut-il qu’ils soient réellement organisé, la COP21 de Paris en Décembre 2015 en étant l’antithèse. La question de l’égalité entre les hommes et les femmes est tout aussi fondamentale pour l’avenir des sociétés humaines. La participation des biologistes est indispensable pour aider à comprendre l’humanité dans toute sa diversité et par là même, lutter contre le sexisme, le racisme et l’intolérance.

L’exemple d’une population Baruya (Nouvelle-Guinée) présenté en avant-propos
résume bien la question du « genre ». Les conditions traditionnelles cantonnaient garçons et filles dans leurs rôles sociaux respectifs. Jusqu’au jour où, lors d’une rencontre scolaire mixte, une fille battit les garçons à la course ! De même, comme les femmes Baruya n’avaient pas le droit de grimper aux arbres, elles ne savaient pas le faire. Mais pour les Baruya, si elles ne savaient pas le faire, c’était parce qu’étant femmes elles en étaient, par essence, incapables.
CQFD.
Renvois :
• Henri ATLAN Henri, Le vivant post-génomique – FW N°41.
• Trinh Xuan THUAN, Le cosmos et le lotus – FW N°47.
• François GROS, Les nouveaux mondes de la biologie – FW N°47.
• Stuart FIRENSTEIN, Les continents de l’ignorance – FW N°54.
• Philippe KOURILSKY, Le jeu du hasard et de la complexité (Immunologie) – FW N°56

PhS