Lorsque l’on évoque le terme de cluster (grappe industrielle ou pôle de compétitivité), c’est le fabuleux destin de la Silicon Valley qui vient à l’esprit. Cette dernière est devenue un lieu de pèlerinage pour des délégations d’entrepreneurs et de décideurs publics, les premiers cherchant à y percer les secrets de la créativité, les seconds espérant y découvrir les formes d’incitations publiques pour retrouver le chemin de la croissance.
Mais connaît-on vraiment la mécanique complexe des clusters ? Quels outils possèdent la science économique et d’autres disciplines connexes pour analyser leurs performances ? Le rendement de la dépense publique en faveur des clusters est-il à la hauteur ?
Jérôme VICENTE
La Découverte – 2016 – 125 pages
Quelques éléments chronologiques de la théorie des clusters :
= 1890. Alfred Marshall, professeur d’économie au King’s College of Cambridge décrivait les avantages de la concentration des entreprises dans un lieu où « Les gens exerçant la même profession trouvent de grands avantages à être voisins. Les secrets de leur métier ne restent pas mystérieux mais sont là, comme flottant dans l’atmosphère. Si un homme a une idée nouvelle elle est reprise par les autres et combinée avec celles qu’ils ont eux-mêmes, donnant ainsi naissance à d’autres innovations. »
Pendant près d’un siècle, les idées de Marshall ont été oubliées et l’attention a été portée vers les grandes entreprises, facteur de croissance et de compétitivité.
= Années 1960. La Silicon Valley située au Sud de San Francisco s’impose comme l’eldorado des nouvelles technologies.
= Années 1970. L’attention est attirée par la vitalité économique de certaines régions du Nord de l’Italie, caractérisées par une spécialisation industrielle. Ce sont les fameux Districts Italiens. On y retrouve les « districts » de Marshall.
= Années 1980. Développement des Technopoles à travers le Monde, basées sur le principe de la « fertilisation croisée » entre laboratoires de recherches, les entreprises et les financeurs publics. En Bretagne, 1984, création de Rennes-Atlante ; 1987, création du Pôle d’Innovations Quimper-Atlantique.
= Années 1990. Le concept de cluster s’impose dans la littérature suite aux travaux de Michael Porter, professeur de management à Harvard. Pour MP, « Un cluster se définit comme une concentration géographique de firmes et d’institutions reliées entre elles et opérant dans un domaine particulier. »
= 2005. Suite à appel à projets, l’Etat français labellise quelques 70 Pôles de Compétitivité dont quatre en Bretagne.
Pour l’essentiel, l’ouvrage de JV rend compte des très nombreux travaux académiques des économistes et des géographes qui ont travaillé sur la théorie et la formation des clusters à travers le Monde. On trouve ainsi mêlés des réflexions théoriques et des preuves empiriques sur les raisons de la localisation des entreprises (Matières premières, main d’œuvre qualifiée ou abondante, coût et disponibilité de l’immobilier, fiscalité, réseaux, présence de laboratoires de recherches ou d’Universités…).
Il paraît donc évident que les clusters sont des réalités complexes qui peuvent être très différentes d’un cas à un autre et que le concept va bien au-delà de la coopération entre proches voisins. L’auteur avoue lui-même « Si l’ensemble des approches développées résistent assez bien aux nombreux textes empiriques, il n’en demeure pas moins que la construction théorique s’appuie sur des concepts qui, par certains côtés, apparaissent comme des boîtes noires et suscitent des interrogations. »
Il est certain que, si pour l’auteur il est difficile de concentrer et de résumer en 100 pages les 130 références bibliographiques de toutes origines, il est bien difficile pour le lecteur de suivre, de comprendre et d’assimiler toutes les considérations, si intéressantes soient-elles, développées dans le livre.
Nous retiendrons que les clusters (variés) sont des places mais aussi des structures avec des localisations élargies qui sont incontournables pour l’innovation et la croissance. Mais leur existence n’est pas sans poser des problèmes, par exemple sur leur adaptabilité et performance à long terme ; systèmes complexes, ils peuvent aussi être fragiles : évolution des marchés, évolution des technologies, défaillance des effets de réseau, abondance ou absence de financements publics.
Il est donc nécessaire d’avoir une évaluation objective de leur fonctionnement. On peut retenir des critères pour cela : pertinence du réseau d’entreprises / organismes ; développement endogène ; nombre de start-up créées et nombre de brevets déposés, nombre de projets de recherches labellisés ; développement exogène par l’attractivité du cluster et l’implantation de nouvelles entreprises externes.
Le dernier chapitre « Opportunités et faiblesses ». Malgré les effets positifs, il y a aussi des aspects controversés, comme le faible rendement de la dépense publique ; inégalités entre les territoires voire inégalités dans un cluster donné, conférant à la difficulté d’avoir un développement harmonieux. JV consacre aussi un encadré à la face sombre de la Silicon Valley : vallée des inégalités ; augmentation du prix de l’immobilier ; absence de logements populaires ; augmentation des sans-abris ; difficultés de professions intermédiaires… Tout n’est pas rose dans la Vallée de L’Innovation.
Renvois :
- Pierre MUSSO, L’imaginaire au service de l’innovation – FW N°19.
- Nicolas MOTTIS, L’art de l’innovation – FW N°32.
- Michel BERRY, Les vrais révolutionnaires du numérique – FW N°37.
- Olivier BOMSEL, L’économie immatérielle – FW N°38.
- Eric DUPIN, Les défricheurs (La France qui innove) – FW N°55.
- Sandrine CASSINI, Bienvenue dans le capitalisme 3.0 – FW N°58.
PQ