Economie politique des capitalismes

Pourquoi le régime de croissance des Trente Glorieuses s’est-il enrayé ? Comment expliquer que les innovations financières aient d’abord accéléré la croissance avant de déboucher sur une crise majeure ? L’Euro, supposé unifier le vieux continent ne creuse-t-il pas une fracture Nord-Sud ?

            La théorie de la régulation répond à ces questions. Lors de sa création dans les années 1970, elle a emprunté à Marx l’analyse de la dynamique du capitalisme, à l’école des Annales la nécessité d’une mise en perspective historique longue, aux postkeynésiens les outils de la macroéconomie. Depuis, elle n’a pas cessé de retravailler ses concepts, ses méthodes, et d’étendre son champ d’application. Aujourd’hui, sous l’hypothèse fondatrice du rôle déterminant des institutions et de leur architecture, elle est une économie politique qui explique les régimes de croissance stabilisée et leurs crises, avec une attention particulière entre le politique et l’économique.

 

Robert BOYER

La Découverte – 2015 – 375 pages

 

 

            Pathétique !

Ce livre est pathétique dans la tentative désespérée de faire croire au lecteur que l’économie est une science, et donc qu’elle comporterait des invariants, des lois immuables, des répétitions parfaitement exactes. Les encarts de modélisation mathématiques sont sans doute là pour faire sérieux……

Donnons néanmoins quelques aperçus au lecteur.

 

Le développement des théories de l’équilibre général conduit à un démenti de l’intuition qui est à la base de la main invisible comme métaphore d’une série de marchés décentralisés. En effet, la mathématisation (sic) des intuitions de Walras permet de dégager les conditions sous lesquelles un équilibre de marché existe et peut être atteint. Or, l’échec est double. D’un côté, lorsqu’on met au jour les hypothèses de base, il ressort qu’un système de prix décentralisant une série de comportements individuels n’existe que pour autant que toute l’information soit centralisée par un agent bienveillant et que les transactions entre agents soient intégralement réalisées par son intermédiaire. La théorie de l’équilibre générale formalise un système centralisé. Paradoxalement, des théories autres montrent la possibilité d’une économie socialiste de marché dans laquelle la production serait coordonnée par le système des prix.

 

Les nouvelles théories macroéconomiques partent du postulat de la stabilité d’un équilibre économique, de sorte que les crises apparaissent nécessairement comme des anomalies ou des curiosités. Au sein de la théorie de la régulation, l’analyse des conséquences qu’ont les formes institutionnelles sur la nature des ajustements économiques laisse ouverte la question de la viabilité d’un régime économique ou au contraire de son incohérence et de sa prochaine entrée en crise. Régulation et crise apparaissent comme les deux faces d’une même problématique. L’hypothèse centrale est que les formes institutionnelles sont les points de passage obligé entre les régularités macroéconomiques et les comportements individuels et collectifs.

[NDL = Herbert Simon a reçu le prix d’économie de la Rijsbank en 1978 à propos de ses démonstrations sur la « rationalité limitée » des choix opérés par les homo sapiens. Mais ça, les « régulationnistes » semblent l’ignorer dans leurs formules mathématiques.]

 

 

 

Après quatre décennies de recherches assidues sur la dynamique des capitalismes, la théorie de la régulation bute aujourd’hui sur deux obstacles majeurs.

Le premier a trait à la Chine : comment expliquer que cette économie se soit développée si longtemps et avec une telle régularité sans entrer dans une grande crise, contrairement à ce qu’on observe pour la quasi-totalité des autres capitalismes ? Cela tiendrait-il à la continuité de constantes réformes pragmatiques visant à anticiper et prévenir de possibles désajustements débouchant sur une crise majeure ?

La seconde difficulté est symétrique : pourquoi, dans les capitalismes mûrs, fut-il si malaisé de caractériser les régimes émergents ? C’est sans doute parce les tenants de la régulation ont trop longtemps recherché un régime aussi simple et finalement rationnel (sic) que le fut le fordisme.

 

La caractérisation de la crise ouverte en 2008 fait l’objet d’un diagnostic largement commun entre approches régulationniste  et marxiste. D’un côté, il ressort que le néolibéralisme s’est révélé incapable de refonder un régime d’accumulation viable ; les profits liés à la financiarisation ne se réinvestissent pas dans le capital productif des économies de vieille industrialisation, alors que la dynamique des profits en Chine a un rôle plus déstabilisateur que rééquilibrant pour un régime d’accumulation tiré par la concurrence. D’un autre côté, les configurations correspondantes ne peuvent s’interpréter sans référence à des blocs hégémoniques spécifiques, différents aux USA et en Chine, par exemple.

Il n’est dès lors pas inconcevable d’imaginer une synergie entre approches postkeynésienne et marxiste, et simultanément une synergie entre l’endométabolisme régulationniste et les formalisations postkeynésiennes. Une telle alliance est d’autant plus nécessaire que la structuration du champ académique n’a été que peu affectée par la débâcle intellectuelle de la nouvelle macroéconomie classique.

Espérons……

 

Renvois :

 

¤ Suzanne BERGER, Made in Monde (Variétés économiques) – FW N°20.

 

¤ Gilbert CETTE, Productivité et croissance (UE & USA) – FW N°27.

 

¤ Bernard GUERRIEN, L’illusion économique – FW N°27.

 

¤ Pascal SALIN, Revenir au capitalisme pour éviter les crises – FW N°37.

 

¤ Laurence FONTAINE, Le Marché : histoire d’une conquête sociale – FW N°52.

 

¤ Lucien KARPIK, L’économie des singularités – FW N°52.

 

¤ Daniel PINTO, Le choc des capitalismes – FW N°52.

 

 

LF