LA CHINE ET LE TEMPS LONG

Il est toujours pathétique d’entendre des déclarations de « dirigeants » affligés par ce qui arrive de négatif à leur entreprise, collectivité, association, institution… menacée dans son intégrité, notamment socio-économique, sous l’influence des mutations, évolutions, transformations des conditions de vie et d’organisation productive. Mais le rôle d’un dirigeant est principalement de penser le changement de manière à proposer à ses employés, ses citoyens, ses associés… ou de s’entourer de compétences permettant d’y parvenir.

Deux des six caractéristiques de La Démarche Prospective sont l’horizon lointain et la recherche des ruptures, des bifurcations, des discontinuités. Ce sont des caractéristiques fondamentales au sens strict du qualificatif. On n’explore pas à moins de dix ans en Prospective et plutôt autour de vingt ans, l’horizon ultime étant trente ans, une génération achevée. La recherche des ruptures repose sur la question : que peut-il se passer probablement qui ferait que, pour le sujet étudié, nous ne pouvons pas tabler sur une continuation linéaire de conditions de la situation.

 

De ce point de vue, ce qui se passe en Chine depuis trente ans et surtout depuis les dix dernières années est passionnant à observer. La réussite indéniable de l’Empire du Milieu (600 millions de personnes sorties de la pauvreté en 30 ans, du jamais vu dans l’Histoire) s’accompagne d’une voie socio-économique originale. Outre la persistance d’une institution politique unique centralisée associée à un marché économique libéral, les options successives montrent une vision de long terme particulièrement déroutante pour des esprits occidentaux baignant depuis des années dans la frénésie, succédané droguant à l’absence de choix cohérents pour le futur. Un smartphone chasse le précédent : en quoi cela est-il significatif de progrès, de vision humaine, de vision sociétale ?

Ainsi des positions extérieures prises par la Chine pour assurer à long terme ses approvisionnements en matières premières, énergies, produits agricoles et alimentaires. Contrairement à ce qu’on lit trop souvent dans la presse, la Chine ne se comporte pas comme un prédateur de l’Afrique mais comme un véritable acteur du développement local. En échange de location de terres inexploitées – selon la FAO le continent africain possède plus de la moitié des terres arables non-exploitées de la Planète – les intervenants chinois fournissent des crédits à bas taux pour des infrastructures, quand ils ne les construisent pas directement eux-mêmes (routes, écoles, dispensaires…) évitant ainsi la corruption endémique des dirigeants de nombre de Pays.

 

Dans son livre, « La Chine et le confucianisme aujourd’hui » [Le Félin 2008], Régine Pietra explique que la pensée chinoise a trois fondements : le confucianisme, le taoïsme et le bouddhisme. Selon les époques, l’un de ces courants a prédominé, laissant les deux autres jouer en sourdine. A examiner les choix « prospectifs » faits par les dirigeants chinois, il semble bien qu’un néo-confucianisme y soit opérant, acculturé à une vocation scientifique de haut niveau comme le montre entre autre l’ambitieux programme spatial et les dispositions de long terme déjà décrits. La Chine reprend sa place perdue au 18e siècle, et pour longtemps.

 

 

Liam FAUCHARD / FutureScan / Mai 2016