La fin de l’école obligatoire

Trop de stages professionnels sans issue, d’orientations scolaires par dépit ou par défaut, d’angoisse pour les parents et leurs enfants… Mais comment orienter 12 millions d’élèves, frange d’une jeunesse désenchantée, matérielle et spirituelle dans une économie en proie à des crises répétitives depuis des décennies, dans une France qui doute ? Le « tous sous la toise », « tous égaux scolaires » est devenu un mythe vivant, au Pays d’une réalité scolaire fondamentalement inégalitaire. Bilan d’un échec, cet ouvrage met le doigt sur les erreurs à ne pas commettre et propose un nouveau regard sur l’orientation scolaire et professionnelle.

Abdou DIOUF

PubliBook – 2015 – 215 pages

 

L’auteur, originaire du Sénégal comme son nom ne le cache pas, ne peut être confondu avec son homonyme, ancien président de ce même pays. Il n’en a pas la célébrité mais cela ne nuit en rien à sa capacité à penser et à écrire. °Titulaire d’un diplôme d’ingénieur agronome ainsi que d’un DESS de marketing, il est depuis plus de 20 ans enseignant de mercatique et de technologie alimentaire à l’Ecole d’Horticulture, du Paysage et du Commerce à Saint Ilan, Langueux, dans les Côtes d’Armor. L’Etablissement reçoit des élèves de la 4ème technologique aux BTS « production horticole », « aménagement paysager » et « technico-commercial » plus une licence « Pro Infographie paysagère » (° Sources : Google). C’est dire si des choix professionnels s’imposent en cours d’études aux jeunes que l’auteur côtoie tous les jours. Récemment d’ailleurs, il était partie prenante de l’organisation d’un forum des métiers. L’orientation scolaire et professionnelle – l’OSP, pour faire court – lui apparaît déficiente, il en connaît les difficultés, les limites, les ratés aussi.

 

Le titre « La fin de l’école obligatoire » pourrait donner à penser que Mr Abdou Diouf plaide pour la suppression de l’école. Il serait plutôt question pour lui de libérer l’école du carcan qui l’enserre et d’y introduire de la souplesse dans les programmes, la pédagogie, les rythmes etc… Dans un contexte ainsi rénové, l’orientation deviendrait tout autre chose, c’est suggéré dans le sous-titre : « Arrêtez de les orienter tout de suite ! Informez ! ».

 

Des observations, des questions, des réflexions, des témoignages, ce livre est fait de tout cela et de bien plus encore. En outre une large place revient dans le « récit » au parcours de Cécile, « une élève », qui en quelque sorte, co-écrit ce document dont voici, résumées et redessinées, les lignes de fond.

 

En quel état est donc la maison OSP, c’est-à-dire l’école et l’orientation des élèves ? Tout au long de ces 2OO pages, il apparaît que pour l’auteur, la situation n’est pas brillante.

En premier lieu, si l’orientation scolaire et professionnelle ne fonctionne plus, c’est parce que nous vivons dans une société inégalitaire, très changeante, à crises répétées et que nous maintenons des pratiques traditionnelles là où il faudrait inventer autre chose. La réussite des élèves est désormais principalement liée  à leur environnement social et culturel et à leurs réseaux. L’école n’a plus le monopole des connaissances et du savoir ; « Internet est passé par là ». Alors, le « Pour tous » identique, l’uniformisation qui ne tient pas compte des spécificités, une fausse uniformisation d’ailleurs, qui met les individus dans des « moules » … sont bien loin de créer l’égalité des chances et des situations. En outre, le « manuel » continue d’être dévalué et délaissé, alors qu’il est souvent une meilleure source de débouchés, tandis que « l’intellect » garde le haut du pavé et que bien des jeunes s’engouffrent dans les voies générales longues pour se heurter à des portes fermées. Sans compter que dans leur orientation, les élèves sont soumis à la dictature des notes.

La notation, en effet, est un des signes des limites du système. Pour A. Diouf, même si leur suppression n’est pas la panacée, les notes sont un outil dépassé. Les programmes aussi sont en cause : ils engendrent un travail trop lourd et surtout, élaborés de loin par un centralisme exacerbé, ils méconnaissent « les besoins professionnels et les particularismes locaux ».

 

Le livre passe ainsi en revue tous les points qui, à ses yeux, limitent, ralentissent, voire anéantissent les efforts des uns et des autres pour une meilleure école et une meilleure orientation. Enumérons sans plus de commentaire : la lourdeur de l’institution-école en France ; l’inadéquation entre l’école et les débouchés – l’offre de formations par exemple, en inflation par rapport aux besoins des entreprises – ; la méconnaissance réciproque de l’entreprise et de l’école ; les relations pas toujours heureuses entre les parents et l’école ; la « passivité obligée » des élèves, en classe et aussi aux conseils de classe où, dit l’auteur, ils sont souvent « pots de fleurs ». La description d’un « conseil-type » est bien révélatrice du malaise. Fondée essentiellement sur les notes, la décision finale qui y est prise ne peut qu’être « hasardeuse ».

 

Que dire des acteurs de l’orientation et plus largement de la formation des élèves ?

Les enseignants  – Abdou Diouf en parle en connaissance de cause puisqu’il en est un -, sont comme tout le monde des gens faillibles et limités. « Les profs ne savent plus quel métier ils exercent, pas plus que la mission que la société voudrait bien leur confier ». « Image dégradée », « statut non toiletté » alors qu’ils n’ont plus le monopole du savoir, « crédibilité entamée », manque de concertation entre eux, jouer l’autonomie ou pratiquer l’autoritarisme ? Pas simple, le métier d’enseignant ! Sans compter les classes trop nombreuses et les élèves ou groupes d’élèves « du milieu », c’est-à-dire difficiles. Si l’on en croit les nombreuses réactions d’élèves citées dans ces pages, les griefs sont nombreux, du plus anodin (« les profs sont mal fringués… ») au plus sérieux (« Un prof, c’est celui qui devrait nous laisser plus de liberté dans les cours pour nous exprimer »).

 

Il est vrai que l’enseignant arrive en classe avec son cours déjà fait – si ce n’était le cas, on le lui reprocherait vivement – mais le cours n’est pas construit avec les élèves. Equilibre à trouver ?

Concernant l’orientation, ont déjà été évoquées les limites du conseil de classe. Les salons d’orientation, selon Mr Diouf, sont un outil qui reste à évaluer.  Le CIO, centre d’information et d’orientation, quant à lui, fournit l’information, qui est sûrement abondante et variée, mais a-t-il les moyens réels d’orienter les jeunes sans les connaître ? Sans jeu de mot, « les conseillers d’orientation sont désorientés ». Et les jeunes et leurs parents ont-ils les moyens de traiter l’information reçue. Tous ? Sans doute pas !

Sans entrer dans les détails, le livre évoque aussi les stages et donc les entreprises avec lesquelles l’auteur souhaite « plus de côtoiement ». Si l’on veut aller plus loin dans les solutions d’alternance, elles aussi paramètre de l’orientation, il conviendrait que les stages ne soient pas, dit Mr Diouf, des « emplois déguisés » et ils devraient être rémunérés. Les entreprises pourraient aussi aider à renouveler les programmes.

 

Revenons aux parents : ils ne sont pas les moins en peine quand il s’agit pour leurs enfants de trouver leur voie. A leur sujet, le livre présente le cas de cinq familles très différentes et nous décrit comment s’est opérée l’orientation. Dans cette famille de père sénégalais et de mère malienne, la  scolarité est soutenue par une mère attentive à qui les enfants font toutes les semaines un compte-rendu de leurs notes et de leur comportement. La mère ne comprend pas les documents qu’on lui remet mais s’inscrit à des cours du soir « pour apprendre à lire, à parler et à communiquer librement ». Le père, éboueur, travaille et espère que ses enfants feront mieux que lui. Et les enfants, par leurs propres moyens, s’en sortent grâce à cette « orientation » positive par le respect et le travail. Dans la deuxième famille qui n’attend pas grand-chose de l’école jugée loin du réel, un père agriculteur n’envisage pour son fils que la succession à la ferme. Par son autorité, voire son autoritarisme, il parvient à son but mais sa fille lui échappe dans un choix qu’il ne peut accepter. Le troisième cas, le plus difficile, est celui d’un jeune qui, sans être déscolarisé, n’a guère d’intérêt à l’école, n’en attend rien et de la vie, pas grand-chose. La rue est son école. Mère dépassée et assez désabusée. La quatrième famille, «  formée et informée » a en main tous les atouts pour réussir l’orientation de ses enfants. La dernière famille, un couple de parents ayant adopté deux petits Somaliens croit aux « valeurs de la famille telles que courage, sens de la solidarité, engagement, respect des anciens, amour du travail ». L’orientation des enfants, en partenariat avec l’école, se fera dans ce même esprit.

 

Des pages sont ensuite consacrées aux mœurs en matière d’orientation et de métier chez les grands bourgeois qui, eux, visent les grandes écoles et orientent leurs enfants vers les postes de prestige (politique, finance, diplomatie). Chez les étrangers ou les immigrés, les différentes « communautés », italienne, espagnole, portugaise, utilisent le réseau familial. Les Asiatiques ont d’excellents réseaux, surtout par la restauration et opèrent par cercle concentrique. Les Maghrébins procéderaient plutôt à la manière française. On y voit donc des privilégiés, des orientations vers le professionnel souvent sans débouchés, des « décrocheurs » aussi. Quant aux Africains noirs, on ne peut pas dire qu’ils aient la part belle.

 

Et maintenant, accordons, comme annoncé, une place spéciale à Cécile, cette jeune femme –jeune femme plutôt qu’élève, vu son cursus post-bac –  dont le long témoignage occupe environ le tiers de l’ouvrage : ce n’est pas négligeable. Cécile fait part d’un « parcours atypique » – c’est elle qui le dit -, nullement linéaire, particulièrement ardu et particulièrement compliqué. En effet, à part la période où elle est une collégienne « normale », elle va de déboires en déboires, ne se sent pas très encouragée. Bien que sachant ce qui l’attire, elle voit les portes se fermer devant elle pour le choix d’un lycée. « Mal ou peu intégrée », dit-elle, elle finit par lâcher prise et alors qu’elle est amenée à remplir questionnaires sur questionnaires, elle  cherche en vain un soutien. « Je n’avais pas besoin d’avis, commente-t-elle. Il me fallait une oreille attentive ». Au terme d’une troisième seconde, elle réussit enfin et commence une expérience originale dans un lycée expérimental autogéré. Elle y découvre un autre rapport à l’enseignant, une interdisciplinarité dans l’apprentissage des savoirs, l’absence de notes mais non d’évaluation, celle-ci fonctionnant par autoévaluation et co-évaluation. On peut signaler aussi que dans le même temps, elle apprend à vivre seule, à gérer son quotidien : son logement, son temps, son budget et bien évidemment ses études.

 

Tout au long de son parcours, nous voyons Cécile recourir de manière très active à tous les moyens d’information à sa disposition, personnes-ressources ou institutions. Elle « engrange » des renseignements divers sur divers métiers, s’interroge sur les débouchés, – elle insiste sur ce point -, s’interroge sur elle-même, sur la vie qu’elle veut vivre pour elle ou « pour construire un monde plus juste », sur la société dans laquelle elle aimerait vivre. Une fois ou l’autre, elle croit avoir trouvé sa voie mais se rend compte assez vite que son  choix n’est pas le bon. Qu’à cela ne tienne : au lieu de s’obnubiler sur une seule piste, elle reprend sa quête courageusement et en revendiquant le  droit de se tromper. « Le droit à l’erreur, dit-elle, le droit de réessayer. Le droit de réussir ». Son parcours, elle ne le donne pas en modèle mais il démontre simplement que l’orientation scolaire et professionnelle, l’orientation « humaine » aussi, n’est pas nécessairement une chose simple et facile. Au terme de son cheminement, il faut dire d’ailleurs qu’elle garde au cœur une colère contre l’école qui, estime-t-elle, « crée des individus vides, des individus qui ne sont pas intéressés, qui ne discutent pas, ne questionnent pas, ne revendiquent pas, n’éprouvent pas, ne veulent rien changer, des individus par contre qui fuient en permanence, dont l’ennui est immense et qui s’abandonnent sans cesse ». Critique acerbe, à entendre sinon à partager.

 

 

 

A de tels maux, quels remèdes ? Après avoir déjà tout au long de l’ouvrage, fait un certain nombre de suggestions, l’auteur propose dans les dernières pages quelques pistes pour que l’école et l’OSP reprennent de la couleur. Pour lui, les trois éléments majeurs d’une éventuelle réforme sont « les désirs, les envies et les débouchés ». En résumé, pour que l’école soit capable de devenir « le souffle qui réveille ou attise le feu en attente dans l’élève », il suggère plus de temps à l’école pour les enseignants pour s’occuper d’orientation, la fin du programme unique dans notre pays, la diminution du nombre d’établissements et le travail en réseau, un partenariat plus étroit  avec les entreprises, les parents ou leurs associations  avec une attention plus spécialement accordée aux « plus éprouvés économiquement et socialement ». Les rencontres parents-professeurs pourraient adopter un autre style et être  autre chose qu’un moment où « le verdict tombe » ? Fini le redoublement, des critères qualitatifs plutôt que quantitatifs. En matière de notation, plus de note éliminatoire ni de 0/20 qu’il estime dévalorisant pour l’élève.   Une fois acquis les fondamentaux que sont lire, écrire et compter, pourquoi l’école devrait-elle continuer à être obligatoire ? demande Mr Diouf. Il souhaiterait qu’à la sortie du CM2 on remette à l’enfant « un certificat de capacités d’apprentissage ». Avec la mise en place d’un observatoire des métiers, l’utilisation maîtrisée des réseaux sociaux, des cantines améliorées, une utilisation adéquate de la télévision, on aurait des atouts pour l’orientation.

 

En regard des multiples critiques qu’il fait aux uns et aux autres, l’auteur propose des attitudes nouvelles qu’il serait fastidieux de détailler ici. En voici tout de même quelques-unes. Pour les parents, ne pas vouloir orienter l’enfant à sa place ; ne pas faire pour lui des choix qui sont les leurs, pas le sien ; ne pas toujours vouloir pour lui « la voie royale », les matières valorisantes, les filières brillantes etc… ; ne pas le « lanciner » par l’éternelle question : qu’est-ce que tu veux faire plus tard… ; ne pas le dissuader de choisir un métier manuel ; ne pas l’obliger à « décrocher son bac » à tout prix…

Aux enseignants il est recommandé entre autre conseils d’oublier la dictature des notes, d’arrêter de proposer le redoublement « comme un palliatif des carences du système scolaire » ; d’éviter l’orientation « balai » dès la quatrième ; de ne pas opposer la voie générale et la voie professionnelle ou technologique etc…

Bien entendu l’Administration nécessiterait un profond changement qui consisterait entre autres, à renoncer au « principe d’une école obligatoire en tant que service public », à laisser plus d’autonomie à chaque établissement, à revoir le statut des inspecteurs, abandonner le programme unique, arrêter de penser que seules les études longues garantissent un emploi et ainsi de suite.

 

Si le propos de Mr Diouf était de « mettre les pieds dans le plat », on peut penser  que c’est chose faite. Chacun des groupes plus ou moins mis en cause appréciera en quoi et comment il est concerné et ce qu’il peut entendre de ces propos et propositions. Les enseignants par exemple vont-ils se reconnaître dans ce regard porté sur eux et sur leur travail ? Vont-ils y retrouver, pour tous ceux qui ne sont ni résignés ni passifs devant la situation, une reconnaissance de leurs efforts ? Les parents seront-ils incités à revoir, si besoin en est, leur approche de l’école, des études et de l’orientation ? Puisque le monde change en permanence, que les métiers évoluent, que naissent de nouveaux métiers, que les jeunes sont en attente de guidage, on peut, avec l’auteur, espérer un sursaut et des actes.

 

AK (à la demande de PQ)