La démocratie étouffée par l’Etat / L’étatisme, idéologie dominante en France

Comment l’État-providence est-il parvenu à étouffer la démocratie réelle et à faire de l’étatisme la religion de la majorité des Français, qui attendent tout de ce dieu laïque : la sécurité, la santé, l’emploi, la retraite, l’égalité réelle, et même une vie meilleure ?

L’évolution des idéologies en France n’a-t-elle pas favorisé l’extension indéfinie, parfois avec violence, de l’État laïque ? Le secteur public n’est-il pas cogéré par une élite politico-bureaucratique machiavélique et des syndicats dont la puissance constitue une altération de la démocratie ? Le consentement à l’impôt n’est-il pas obtenu par des stratagèmes trompeurs ? Les rapports de la Cour des comptes sont-ils suivis de réformes des entités publiques ? Le silence des politiques sur ces sujets n’est-il pas révélateur d’une démocratie en trompe-l’oeil ?

Ces dérives de la République sont clairement mises en évidence par l’auteur.

Le peuple français est désormais soumis à la dictature d’une profusion infernale de lois, de règlements, de normes et de prélèvements obligatoires, qui réduisent chaque jour davantage ses libertés. Il est irrité par cet État incapable de résoudre les problèmes les plus angoissants de l’époque : le chômage, la dette, l’immigration et le risque islamique.

Quatre risques de chaos apparaissent : la victoire d’un parti populiste, la ruine de l’économie, la possibilité d’une guerre de religion, et des révoltes contre les poussées totalitaires de l’État.

Jean BRILMAN

L’Harmattan – 2016 – 240 pages

 

 

Dans les années 80, j’ai lu avec intérêt l’ouvrage de Laurent Cohen-Tanugi intitulé « Le droit sans l’Etat. (Sur la démocratie en France et en Amérique). » (1)

Il y oppose la « société contractuelle » des Etats-Unis – qui est « une société multipolaire, où le pouvoir est segmenté et dont le lien est par essence le contrat » -, au  «  tout – Etat » français.

 

L’essai de Jean Brillman permet de revisiter le débat  sur l ‘étatisme français.

 

La mise en place de l’étatisme.

 

Pour l’auteur, la Révolution de 1789 est un élément central des évolutions idéologiques sur l’Etat. Pourtant, s’il met en exergue la contradiction entre la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen »  et le régime de la terreur, il passe sous silence l’influence du jacobinisme sur les « dérives de la démocratie en France ».

 

Il considère que 1789 est le point de départ de la laïcité, « idéologie d’Etat imposée par la violence » avec comme point d’orgue la loi de 1905 sur la séparation de l ‘église et de l’Etat.

« La laïcisation procède  d’une série de mesures édictées par l’Etat de manière conflictuelle avec la religion dominante ». Cela a été le cas en France, en Espagne et au Portugal. Pour les autres pays occidentaux on doit plutôt utiliser le concept de « sécularisation » qui est « un recul graduel sur un temps assez long de l’emprise de la religion sur la politique. Ce processus de sécularisation pacifique a laissé subsister des relations très variées entre l’Etat et les religions. Toutefois,

« Après avoir été impitoyables avec les chrétiens, les pouvoirs publics hésitent à pratiquer la même politique avec les musulmans ». L’Etat semble en recul face à l’islam.

Il nous rappelle l’importance des théories de l’organisation et de la culture bureaucratique.

Ainsi il se réfère notamment à « La société bloquée » de Michel Crozier (2) selon lequel « En régime démocratique, c’est aux gouvernants de s’adapter au peuple qu’ils doivent servir, non au peuple de se plier aux projets et aux lubies de ses gouvernants. » C’est malheureusement l’impression dominante de la population française en ce début du 21e siècle. Elle a le sentiment d’être sans cesse bousculée par les lubies des politiques estime Jean Brilman.

 

L’étatisme entraine les dérives du secteur public

 

Le secteur public n’a cessé d’accumuler des privilèges : amélioration du statut, multiplication des primes, des avantages en nature de toute sorte, des congés, des retraites, extension du statut aux agents de la Santé et des collectivités locales, etc. et tout cela aux dépends de ses missions

En effet, selon le Président de la Cour des comptes, Didier Migaud, « Le gros des problèmes que nous avons en France, c’est le décalage entre un niveau des dépenses publiques, qui est plutôt plus élevé que dans beaucoup d’autres pays comparables , avec des résultats qui ne sont pas à la hauteur.»

 

De plus la bureaucratie publique est cogérée par les syndicats, notamment par le biais des commissions administratives paritaires dites CAP, ce qui empêche les chefs de service de pratiquer une gestion saine. Ce poids est d’autant plus important qu’en France le droit de grève est reconnu aux fonctionnaires et agents non titulaires, sauf au personnel de la police, aux CRS, au personnel des services extérieurs de l’administration pénitentiaire, aux magistrats judiciaires, au personnel des transmissions de ministère de l’intérieur, aux militaires. Ce n’est pas le cas dans la plupart des  pays européens. Ces organisations puissantes sans contrôle ni contre-pouvoirs sont devenues les ardents promoteurs de l’étatisme.

 

Par ailleurs, le rôle des entreprises privées est sous-estimé par les élites. La droite comme la gauche a maintenu les français dans une inculture économique archaïque qui facilitait l’extension infinie de l’Etat. Depuis trois décennies, on apprend aux français que l’Etat est tout, presque Dieu.

Au 21e siècle, la France s’avère le pays le plus anticapitaliste et le plus antilibéral des pays développés. Ce qui selon l’auteur freine son développement économique car le capital privé n’a pas intérêt à investir en France.

 

L’étatisme menace La démocratie

 

Ce qui fait l’unité de la nation, c’est l’étatisme. Les français attendent de l’Etat la solution de tous les problèmes. Le nombre de français rendus dépendant de l’Etat augmente chaque année. Les fonctionnaires ne sont pas les seuls à vivre de l’argent public. Il faut y ajouter les personnels des opérateurs  publics ou privés qui remplissent une mission de service public en lieu et place de l’Etat ou des collectivités publiques. Sont également dépendantes des collectivités publiques, les personnes dont le revenu est pour une bonne partie constituée d’aides publiques, etc.

En outre, l’Etat français est devenu démesuré par une prolifération d’entités publiques : Agences de l’Etat, Sécurité sociale.… Il échappe ainsi à tout contrôle des élus. Ainsi l’Etat domine la démocratie. Le régime de la France c’est l’étatisme.

 

 

 

 

Cela provoque la montée du populisme selon lequel c’est au peuple de prendre les décisions et non aux experts autoproclamés ou désignés par le système. Au contraire, les élites technocratiques récusent la capacité des masses à participer aux décisions ayant trait aux affaires publiques et donc au pouvoir.

La montée des extrémismes est le signe de malaise face à l’impuissance de l’Etat, malgré sa démesure et son coût. Cette situation devient insupportable au peuple qui s’aperçoit que malgré l’augmentation des prélèvements, la réduction des libertés et le changement de gouvernements, les problèmes persistent : le chômage, le déficit, la dette, l’immigration, l’insécurité…

 

L’Etat a retiré progressivement au peuple français et à ses représentants élus le pouvoir effectif qu’ils détenaient. C’est ce que l’auteur appelle le machiavélisme d’Etat illustré par les exemples suivants :

 

Le détournement de la finalité des lois par les gouvernants : elles ont proliféré et sont devenues  pour une part des instruments conjoncturels de communication politique teintés d’idéologie au lieu de poser des principes durables de fonctionnement de la société.

 

La « trahison » de l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme qui prévoit le contrôle par le peuple des finances publiques. L’Etat français n’est pas parvenu à un niveau de dépenses publiques de 57% du PIB associé à un taux de prélèvements obligatoires de 46,1% par un consentement libre, mais par la ruse et la manipulation des  concepts et des comptes.

 

– Le mythe des vertus de l’investissement public. Dans un pays mal géré comme la France, les investissements peuvent accélérer sa ruine. Cela provient de la sous-évaluation du montant des investissements et de l’oubli volontaire du chiffrage  de ses  coûts de fonctionnement. Dans la situation économique de la France, de nombreux investissements sont un luxe qui augmente le déficit public et contribue au ralentissement de la croissance.

 

Une économie plus étatisée que libérale. De nombreux prix sont manipulés par l’Etat, parfois essentiellement constitués de taxes comme l’essence, le gasoil, le tabac, bonus-malus, subventions aux producteurs, aides aux consommateurs, taux de TVA différents, 360 impôts et taxes sur une grande variété d’activités et réglementation détaillée perturbent de plus en plus le fonctionnement des marchés par leurs effets pervers.

 

Le marché du travail n’existe plus au sens de liberté d’embauche  et de débauche et de négociation individuelle des conditions de travail st de rémunération.

C’est un débat actuel à propos de la loi Travail, les syndicats luttant pour éviter toute décentralisation de la négociation collective à l’échelon de l’entreprise.

 

Comment sortir de l’étatisme et éviter le chaos.

 

La désillusion des Français à l’égard de l’Etat qui n’assure l’emploi que pour ceux de son clan, qui ne garantit les retraites que de ceux de son clan, qui laisse des territoires se transformer en déserts médicaux, qui ne construit pas assez de logements pour ses habitants, qui accumule  une énorme dette menaçant  leur propre avenir ou celui de leurs enfants, peut aboutir à quatre risques de chaos:

 

= La monté du populisme,

= La ruine de l’économie,

= La guerre des religions,

= La désobéissance civile face aux totalitarismes d’Etat et à ses institutions publiques.

 

La révolution numérique est en train de bouleverser les domaines de la connaissance, de l’éducation, de la santé, de l’industrialisation, de la production, et enfin de l’Etat. Les citoyens voudront passer à une participation plus importante à  la vie de la cité via internet. L’Etat français, très réticent à s’ouvrir à la société civile sera de plus en plus considéré comme rétrograde et parasitaire s’il ne s’adapte pas à la nouvelle société qui est en train d’émerger.

 

L’Etat français s’adaptera-il assez vite pour éviter le chaos, alors que les élites au pouvoir sont dépassées par le numérique (3) ?

 

Renvois :

 

¤ Noël AMEC, L’impuissance publique – FW N°33.

 

¤ Jean BAUBEROT, Laïcités sans frontières – FW N°41.

 

¤ Gilles ROUET, Usages politiques des nouveaux médias – FW N°46.

 

¤ Gérald BRONNER, La démocratie des crédules – FW N°48.

 

¤ Laurence FONTAINE, Le Marché : histoire d’une conquête sociale – FW N°52.

 

¤ Philippe VAL, Malaise dans l’inculture – FW N°56.

 

 

  • Laurent Cohen-Tanugui, Le droit sans l’Etat (Sur la démocratie en France et en Amérique), PUF 1985.
  • Michel Crozier, La société bloquée, Editions du seuil 1970.
  • Laure Bellot, La déconnection des élites (comment Internet dérange l’ordre établi), Les Arènes 2015.

 

 

GG