Le continent des imprévus

Patrick LAGADEC

Manitoba – 2015 – 270 pages

 

J’ai connu PL au début des années 1980 lors des parutions de ses deux premiers ouvrages « Le risque technologique majeur » et « La société du risque ». Il était alors un très grand pionnier du sujet et ne pouvait que motiver les prospectivistes.

Une citation du présent livre donne le ton « Le problème n’est pas de se préparer pour éviter les surprises, mais de se préparer à être surpris. »

Le livre, qui est à la fois un flashback et un outil proactif, comporte ainsi trois grandes parties : L’Embarquement / La Navigation / Des routes à poursuivre.

 

Dans les récits vécus de la deuxième partie, ce qui ressort, hélas, régulièrement c’est l’impréparation à faire face à un mégachoc et surtout l’arrogance des « élites » et dirigeants comme quoi « tout est prévu » « tout est sous contrôle »…et refusent toute réflexion hors des balises installées… réglementairement.

Ainsi, il constate qu’ex-post, les enquêteurs ne sont pas mieux formés aux questions de crise que les acteurs qui ont eu à traiter l’évènement. Les consternations ne sont que des évidences : dès lors qu’un système non préparé est percuté par des évènements non conformes, il entre forcément dans le type d’impasses que l’on repère. Et la préconisation pertinente n’est pas tant de faire la liste des errements à ne plus commettre…etc… que d’exiger des préparations effectives de chacun aux situations de crise non conformes… ce qui n’est quasiment jamais fait.

 

A propos de la déviance médiatique, interrogé à propos du traitement de l’information lors des évènements du 11 Septembre 2001 aux USA (Twin Towers et autres), PL répond : « Il faut donner de l’information. Mais passer en boucle, constamment, ce qu’il y a de plus émotionnel, au moment où il faut de la prise de recul, de la réflexion en termes de sens – car une crise est un effondrement de sens -, c’est mettre l’émotion en effet Larsen. Inutile alors de se poser la question de savoir si on peut gérer la crise. »

 

 

Un contre-exemple heureux est donné par l’auteur lors d’une conférence qu’il donnât en Mars 2013 pour l’état-major des forces terrestres de la Confédération helvétique « crises en émergence ». Alors que l’assistance s’attendait de la part des gradés à un exercice convenu du « tout est sous contrôle », le chef d’état-major prit la parole pour souligner combien il adhérait aux propos de PL, que les vrais enjeux étaient bien ceux qui se trouvaient dans l’angle mort et la surprise stratégique. Il compléta en cohérence avec ses propos que la lucidité était requise, que personne ne serait réprimandé pour avoir émis des idées non conformes…Lumineuse démonstration.

 

Dans la partie finale du livre « Des routes à poursuivre », nous trouvons des chapitres tels que « Nous arracher à la tyrannie du convenu » ; « Nous projeter dans l’invention » ; « L’inconnu, notre territoire ».

Et un appel récurrent à faire preuve d’humilité, y compris (surtout) dans des domaines très complexes où la doxa médiatique veut absolument simplifier ce qui ne peut l’être, genre changement climatique d’origine anthropique univoque et rien d’autre.

 

Comme cette revue est éditée en Bretagne, nous signalons aussi que dès la page 11, Patrick Lagadec rappelle le naufrage du pétrolier Torrey Canyon en 1967 au large des côtes Sud britanniques. Les pouvoirs publics français sûrs d’eux-mêmes sans questionnement affirmèrent péremptoirement que les nappes de fuel échappées du cargo… n’atteindraient jamais les côtes bretonnes et normandes.

Les Bretons savent ce qu’il en fut.

 

Dans le même ordre d’idée, ce fut la déclaration, là encore péremptoire, comme quoi, en 1986, le nuage radioactif issu de l’explosion du réacteur nucléaire de Tchernobyl n’affecterait pas la France et qu’il serait arrêté… par la ligne Maginot (?).

 

 

Renvois :

 

¤ Joël de ROSNAY, 2020 / Les scénarios du futur – FW N°24.

 

¤ Hervé P. ZWIN, Les systèmes complexes – FW N°27.

 

¤ Bruno TERTRAIS, L’apocalypse n’est pas pour demain – FW N°41.

 

¤ Philippe BAUMARD, Le vide stratégique – FW N°46.

 

¤ Katia et Guy LAVAL, Incertitudes sur le climat – FW N°49.

 

¤ Benoît RITTAUD, La peur exponentielle – FW N°57.

 

 

LF