Le nouvel Etat juif

Shmuel TRIGANO

Berg – 2015 – 180 pages

En intégrant dans le retour à Sion la logique de l’émancipation (l’auto-émancipation), le sionisme, tout en restaurant la condition collective objective des Juifs, ne redonnait pas sa place au peuple juif si ce n’est sous la forme d’une nation israélienne. De la même façon qu’en devenant Français, Anglais, Allemands, les Juifs étaient devenus des « Israélites », les Juifs devinrent des « Israéliens », des nationaux « comme les autres », une modalité spécifique d’une condition générale. La « normalité » dans ce sens ne désigne pas la condition naturelle de l’homme qui va de soi (car les Juifs ne sont pas des extra-terrestres) mais une éradication de la singularité identitaire et de la personnalité historique du peuple d’Israël. « L’Homme » dans ce discours (la déclaration de l’homme et du citoyen) est un artefact idéologique, une des premières épures de « l’homme nouveau » que toutes les idéologies totalitaires voulurent plus tard « fabriquer » au prix de la destruction de l’humanité réelle et, selon les cas, de peuples historiques entiers (les génocides).

Les Israéliens, comme hier les Israélites, ne peuvent comprendre ni imaginer pourquoi une grande partie de la Planète leur en veut puisqu’ils sont « normaux », c’est-à-dire devenus un Etat démocratique comme les autres.

Très documenté sur le plan historique, l’ouvrage de ST rappelle qu’en 1931, le Haut Comité Arabe sous la houlette de El Husseini – qui avait fait de la Palestine la terre du « Dar El Islam » – l’étendard de la lutte arabe -, déclarait clairement sa motivation quand il s’opposa à la Commission Peel et à sa proposition de partage territorial : « Les Juifs doivent se soumettre à la domination arabe comme par le passé et l’avenir décidera s’ils peuvent ou non rester dans le Pays ». Plus près de nous, l’Article31 de la Charte du Hamas confirme cette affirmation de sujétion à l’Islam.

Le Plan Peel de 1937-1938, aboutissement de la Commission éponyme, proposa d’attribuer un quart des territoires sous mandat britannique aux Juifs et deux tiers (dont le Negev) à la Transjordanie, un territoire juif d’autant plus étriqué qu’il comprenait 50% de populations arabes, les autres régions (Jérusalem, Nazareth, le lac de Tibériade, Bethléem, un corridor jusqu’à Jaffa et Jaffa) étant confiées à la Grande-Bretagne. Après les émeutes de 1938, le Livre Blanc de 1939 proposa non plus deux Etats mais un Etat judéo-arabe (aux deux-tiers arabe), une limitation de l’immigration à 75 000 Juifs sur 5 ans et uniquement avec l’accord arabe (à la veille de la Shoah !) et l’interdiction de la vente de terres. Tous ces plans fantaisistes furent acceptés par l’Agence Juive et tous refusés par les Arabes.

 

Puis vint la décision n°181 de l’Assemblée Générale de l’ONU du 29 Novembre 1947 instaurant deux Etats, l’un Juif, l’autre Palestinien. Décision refusée par les Etats arabes… qui avaient ratifiés la Charte de San Francisco (!) et qui déclarèrent la guerre à l’Etat juif naissant en Mai 1948. Ils perdirent la guerre de conquête. L’Etat juif en sorti conforté ; la Jordanie s’empara de la Cisjordanie et de l’Est de Jérusalem, l’Egypte de la bande Gaza, sans que ces deux puissances ne permettent à une quelconque Palestine de naître.

A part l’Egypte et la Jordanie qui ont signé des Traités de Paix avec Israël, tous les autres Etats arabes sont toujours officiellement en guerre contre l’Etat juif.

 

Plus loin, l’auteur aborde la situation particulière du monde juif actuel qu’il inscrit dans une crise internationale des sociétés démocratiques. Les élites postmodernistes juives, emportées par cette frénésie, y puisent – parce qu’elles s’adossent à cette idéologie dominante – le sentiment d’une légitimité plus grande que celle qu’elles tirent de leur place réelle (minime) dans le peuple Juif. Pour lui, cela caractérise d’ailleurs toutes les élites postmodernistes du monde occidental qui se sont retournées contre leurs peuples en se drapant dans une morale grandiloquente qui surenchérit sur les « droits de l’homme » là où elles détruisent l’humanité. Ces élites transnationales s’adossent l’une à l’autre pour se renforcer et s’installer dans un jeu de miroirs narcissiques confortable, jetant sur leurs peuples – après tout leur base sociale et politique, source de revenus et de carrières – les accusations les plus noires et les plus délégitimantes : voir le discours classique stalinien : fasciste, nazi, colonialiste, raciste, etc.

 

De ce point de vue, les « Accords d’Oslo » inauguraient l’ère du postmodernisme dans les relations internationales, juste après la chute du soviétisme. Ils donnaient à voir un spectacle inédit : Un Etat, vainqueur de ses ennemis à plusieurs reprises, les reconnaissait sans que ceux-ci ne le reconnaissent ni n’acceptent leur défaite dans une guerre qu’ils avaient eux-mêmes lancée, le tout en vertu non d’un accord de paix mais d’un « processus » leur conférant des territoires qu’ils n’avaient jamais eu durant toute l’Histoire, une entité institutionnelle « L’Autorité palestinienne », qui prenait la suite d’une entité terroriste (l’O.L.P.), des forces armées, l’accès à une reconnaissance et à des financements internationaux et enfin, last but not least, des positions stratégiques territoriales leur permettant de porter la mort et la désolation au cœur du territoire de son ennemi. Curieux « processus de paix »……

 

Après la partie descriptive, principalement historique, l’auteur s’emploie à proposer des bases de refondation du judaïsme.

Ainsi, il considère comme importante la sphère éducative combinant des faits et des périodes à mettre en chantier. Pour lui, le choix de la longue durée est capital et son acte inaugural est l’intégration de l’histoire biblique à ce processus. Cette période est la « tête », le principe, la matrice de toute l’histoire juive et il n’y a pas de sujet juif sans elle. Que l’on y « croie » ou pas, elle est le récit fondateur et, comme telle, en tout cas, un fait social et historique éminemment réel, d’autant que son histoire a été source d’inspiration pour l’univers. Vingt-huit siècles d’histoire marqués par la religion, deux siècles de modernité, l’histoire du sionisme, constituent autant d’éléments constitutifs de la même histoire d’un peuple, dont il s’agit d’identifier les structures et les mouvements par-delà la dispersion, la longue durée, la diversité.

Qu’il y ait lieu d’imaginer et de penser un tel projet éducatif, soixante-sept ans après la création de l’Etat d’Israël témoigne, selon Shmuel Trigano, de ce que la restauration de la culture du « peuple juif » reste encore inachevée dans la création d’une culture « israélienne ».

 

La résurgence de l’esprit de l’Israël éternel dans le domaine du savoir, de l’intelligence, de la recherche et de la culture n’a pas trouvé sa demeure dans une Université qui n’a fait que reproduire le modèle de l’Université occidentale, là où il s’agissait de construire une université juive, dans le sens plein de ce terme qui fait référence à l’universitas, l’universalité.

L’urgence est de créer ce lieu de savoir, au cœur de Jérusalem, qui devienne le cerveau de la reconstruction et de la restauration de l’Israël éternel dans ce monde ci et notre époque autant qu’un grand centre spirituel mondial dont la vocation sera de combattre la babélisation de l’humanité, la manipulation de l’identité humaine, l’instauration d’une nouvelle figure de l’empire, autant de menaces qui pèsent aujourd’hui sur l’avenir.

L’ensemble du projet de refondation de la notion de « judaïsme » s’inscrit non dans la régression de la modernité mais dans ses acquis, dont un des éléments essentiels est la liberté de l’individu. Il ne s’agit pas de gouverner les vies des individus mais de les doter d’une formation qui les aide à comprendre où ils sont nés, qui ils sont, comment ils sont vue par l’environnement, comment clarifier et maîtriser tous ces éléments reçus au départ et non choisis, afin qu’ils fassent leur chemin dans l’existence, quitte à ce qu’ils fassent des choix plus tard.

 

Concernant le « conflit israélo-palestinien », l’auteur revient sur les « informations » manipulées par les médias, notamment occidentaux.

Voici pour lui l’enchâssement des idées toutes faites qui représentent autant d’hypothèses qui n’ont jamais été clarifiées mais qui s’avèrent pourtant erronées, en même temps qu’elles témoignent d’une attente pathétique envers la réalité.

Ainsi :

  • Le problème principal du conflit, c’est l’occupation des territoires de Judée-Samarie après la guerre de 1967 ;
  • Un Etat palestinien est le facteur central de la paix ;
  • Le conflit est un conflit de type national, opposant deux nationalismes ;
  • Les Palestiniens veulent la paix. Israël aura la paix si les aspirations nationales palestiniennes sont satisfaites.

 

Dans les pages 139 à 143, l’auteur démonte un par un les mensonges qui soutiennent ces hypothèses. Sur le plan factuel, c’est effectivement convainquant. Le scientifique qui rédige cette NDL restera réservé sur la notion d’Israël « éternel », mais sans doute est-ce hors sujet pour Shmuel Trigano.

 

Renvois :

 

¤ Pascal BONIFACE, Comprendre le Monde – FW N°36.

 

¤ Hamit BOZARSLAN, Sociologie politique du Moyen-Orient – FW N°41.

 

¤ Hubert VEDRINE, Dans la mêlée mondiale – FW N°46.

 

¤ Gérard CHALLIAND, Vers un nouvel ordre du Monde – FW N°48.

 

¤ Philippe VAL, Malaise dans l’inculture – FW N°56.

 

¤ ADONIS, Violence et Islam – FW N°58.

 

 

LF