Les grandes métropoles, aux côtés de Paris ou Londres, s’affirment en Europe ; elles renforcent leur puissance et élargissent leurs compétences. A l’heure où la France confère un statut aux métropoles, où d’autres pays vont dans le même sens, l’intérêt se porte sur la manière dont celles-ci répondront aux attentes et généreront des dynamiques nouvelles.
L’ouvrage présente une petite centaine de pratiques souvent étonnantes, témoin de l’inventivité des métropoles. Ces initiatives émanent pour une part des « bons élèves » de la classe en Europe : Copenhague, Barcelone, Amsterdam, Breda, Eindhoven, Stuttgart, Hambourg, Glasgow, Birmingham, Bruxelles, Stockholm, Vienne, Sophia, Rome ou encore Turin. En France, Lille, Lyon, Nantes, Marseille, Toulouse, etc.
Au-delà des city trips et des images que capter des initiatives exemplaires de ces métropoles ? Comment s’y prennent-elles, ces métropoles visionnaires pour à la fois stimuler la créativité économique, déployer des solidarités chaudes, devenir les acteurs de la durabilité et de l’économie circulaire ? Et affirmer leur agilité à coopérer avec des territoires plus larges, à les irriguer ? Alors, une nouvelle « ligue des métropoles » apparaît-elle en Europe ?
Paul VERMEYLEN
L’Harmattan – 2014 – 285 pages
Le déclin du rôle des villes, observé tout au long de l’émergence des Etats-nations jusqu’aux trente glorieuses s’achève sous nos yeux et préfigure un autre paradigme. Historiquement, selon Fernand Braudel, les villes se sont révélées être des « lièvres » par rapport aux Etats, (jugés « tortues ») dans l’essor de la société européenne. Au sortir d’une période de déclin liée à l’émergence des Etats-nations, elles retrouveraient de nouveau ce rôle depuis quelques décennies en étant, pour certaines d’entre-elles, les moteurs actuels de la croissance en terme de PIB mais surtout, en s’affirmant bien plus que les Etats comme les promoteurs d’autres voies de développement. Pourquoi, dans ce contexte, certaines métropoles sont-elles si souvent citées en exemple à l’image des bons élèves de la classe européenne, habituées du podium que sont Barcelone, Copenhague et quelques autres ? Ou encore, à leurs côtés, bon nombre d’aires métropolitaines qui présentent également des pratiques intéressantes telles : Bordeaux Lille, Lyon, Nantes, Amsterdam, Breda Eindhoven, Anvers et Bruxelles, Aix-La-Chapelle, Hambourg, Stuttgart, Edimbourg et Glasgow ; Göteborg, Malmö, Vienne, etc. Comment ces métropoles exemplaires – cette vingtaine d’habituées de la « Ligue 1 » européenne – s’organisent-elles pour agir ? Et pour quelle forme de paradigme ?
Les métropoles dites exemplaires semblent révéler une capacité à déployer de nouveaux processus d’action pour échapper à des destins cloisonnés ou reproducteurs des orientations passées. Elles traduisent en cela une forme de spécificité européenne qui se démarque d’une approche exclusivement tournée vers la compétition globalisée, la spécialisation des territoires, la division internationale des tâches et l’innovation technologique au service de la production de biens de consommation et du « toujours plus ». Les métropoles exemplaires s’attachent, de fait, moins à la recherche de l’abondance et davantage à la réalisation du bien-être et du développement humain. Elles témoignent pour cela d’une capacité à mobiliser et à fertiliser leurs nombreuses ressources territoriales afin de répondre aux attentes de leurs habitants et de leurs travailleurs en irrigant de manière créative les champs variés de la vie en métropole. Elles s’orienteraient de la sorte dans une forme de décroissance partielle et raisonnée, qui se trouverait compensée par la recherche de davantage de « prospérité citoyenne ».
Nul modèle préétabli à suivre pour atteindre l’excellence. A travers la diversité et l’unicité des configurations locales, les métropoles remarquables tirent leur exemplarité de la capacité à manifester et à combiner ce que l’auteur considère comme les quatre les « valeurs » cardinales qui constituent la trame et le sous-titre de l’ouvrage. Elles sont « agiles » dans leur manière de nouer des partenariats ou coopérations territoriales à des échelles multiples ; elles sont « créatives » dans la mobilisation de l’intelligence et des ressources humaines au service de l’économie, de la production, de la captation de richesses ; elles se montrent « solidaires » pour répondre de manière concrète et adaptée aux fractures sociales croissantes dont elles sont les premiers réceptacles ; elles sont enfin « durables » dans la gestion de leurs ressources, du bâti, dans l’invention de nouvelles relations avec la nature ou de nouveaux modèles d’économie circulaire.
C’est à une analyse systémique fondée sur ces quatre vertus qui caractérisent les nouvelles politiques métropolitaines que nous convie l’auteur. Pas de métropole en développement sans que celle-ci n’ait régulé ses rapports aux multiples échelles influençant ses dynamiques. Et sans que les champs de la créativité, de la solidarité et de la durabilité n’aient été croisés pour se fertiliser mutuellement. Ce faisant, les métropoles exemplaires prennent le relais des Etats (voire des régions selon les pays), non pour dupliquer leur rôle majeur (par exemple en matière de redistribution des revenus) mais pour accroître l’efficacité des réponses publiques face au renouvellement des attentes. Cette dernière dépend moins des moyens -financiers notamment – dont disposent ces collectivités que de leur habileté – à travers la mise en œuvre de ces vertus – à activer pleinement l’ensemble des leviers et des effets de la proximité. Elles peuvent s’appuyer pour cela sur la richesse et la concentration des ressources constitutives des « fonctions socles » métropolitaines : centres de décisions publics ou privés, structures d’enseignement supérieur, centres de recherche, lieux culturels, nœuds de communication et de connectivité », lieux favorisant des liens sociaux enrichissants. Elles tirent également un avantage de leur posture « d’acteurs de terrain » positionnées en première ligne face aux problèmes à traiter et en capacité d’apporter des réponses concrètes en matière d’action économique, d’urgence sociale ou d’invention de solutions durables. Autant d’ingrédients et de situations qui les conduisent à inaugurer de nouvelles politiques.
Si le propos central de l’ouvrage est avant tout axé sur une analyse des ressorts de l’efficacité métropolitaine, on pourra malgré tout regretter une posture exagérément « métropolo-centrée » de l’auteur qui fait peu de cas d’un certain nombre de questions de fond soulevées par l’avènement du fait métropolitain. Ainsi, le rôle moteur des métropoles en matière de croissance économique, présenté comme une évidence intangible – sur la base notamment des travaux de Laurent Davezies – est pourtant sujette à caution dans le champ scientifique[1]. Les effets périurbains et sociaux, voire environnementaux des métropoles semblent se passer d’analyse critique pour se réduire à une simple question de renforcement et de bonne échelle de gouvernance métropolitaine. La bonne volonté des métropoles « d’irriguer » leurs territoires voisins » plutôt que d’en capter les ressources ou de leur tourner le dos ne semble pas davantage devoir est mise en doute… Il en résulte parfois l’impression d’un raisonnement quelque peu tautologique : la concentration des ressources territoriales permet des combinaisons créatives entre acteurs publics et privés, elle porteuse de dynamisme et justifie donc en retour la concentration des ressources et une organisation sociale et institutionnelle autour du fait métropolitain… Une partie des bonnes pratiques présentées dans l’ouvrage autour de la déclinaison des « quatre valeurs », n’ont rien de spécifiquement métropolitaines en soi. Elles témoignent d’approches qui peuvent être mises en œuvre par d’autres territoires (à condition qu’ils disposent de l’ingénierie pour le faire…). On en arrive parfois à la situation absurde que certains exemples ou bonnes pratiques (pôle domotique et santé de Guéret, mouvement des Slow Cities) se voient qualifiées de « métropolitains » non parce qu’ils le sont mais plutôt parce qu’ils « devraient » l’être…
Il n’en reste pas moins que « Le Temps des Métropoles constitue » une ressource aussi intéressante que précieuse pour qui s’intéresse aux pratiques et enjeux du développement local. L’ouvrage s’appuie sur l’observation et l’expérience accumulée au cours d’une décennie de voyages et de rencontres professionnelles au sein d’une trentaine de métropoles européennes. Les nombreux exemples donnés au fil des chapitres sont, par ailleurs, souvent complétés par une webographie détaillée qui permet d’approfondir la centaine de cas présentés.
Ils donnent à voir la manière dont évoluent les statuts et les dynamiques métropolitaines au sein des différents pays et rendent comptent d’un contexte européen qui, malgré des différences entre les Etats, favorise l’essor des métropoles. Celles-ci utilisent leurs moyens croissants pour nouer, de manière flexible, des accords de coopération avec de multiples autres acteurs publics, privés ou associatifs. Leur responsabilisation accrue reflète leur habilité à organiser leur destin, en explorant d’autres manières de faire que les Etats. Elles engagent pour cela des modes d’action de nature systémique qui démultiplient leur efficacité. Ainsi, au plan économique, différents exemples tendent à montrer la manière dont les spécialisations technologiques ou les potentiels de prospérité de la sphère productive sont dynamisés par des effets de fertilisations croisées. Abordés de manière créative, ces derniers renforcent non seulement l’économie productive mais aussi l’ensemble des champs résidentiels, sociaux, publics qui constitue les différentes bases de l’économie locale. Les fonctions métropolitaines sont activées pour diffuser de la créativité dans les domaines de la solidarité et de l’écologie, encore largement sous mobilisés à ce jour, en y stimulant les effets de boucle.
En matière sociale, certaines métropoles prennent, de manière croissante, le relais face à l’impuissance des dispositifs financiers ou procéduraux des États. Elles s’attachent à stimuler l’emploi dans les différentes bases de richesse évoquées. Elles tentent surtout d’agir sur les multiples causalités de l’exclusion en s’assignant la tâche de stimuler ce que l’auteur appelle les « solidarités chaudes », c’est-à-dire la recherche variée de réponses de proximité aux multiples demandes sociales locales à travers la mise en œuvre de politiques de cohésion. Elles s’attachent également à « re-monétariser » différentes tâches d’intérêt sociétal, par exemple en matière de vieillissement démographique ou de développement durable, en combinant politiques d’insertion et réponses à des besoins émergents.
Enfin, en matière d’environnement, les métropoles durables génèrent de nouveaux rapports à la nature en assurant, en premier lieu, une revalorisation économique de leurs franges. Elles intègrent et anticipent le recyclage du bâti et encouragent différentes expériences d’économie circulaire dans les domaines de l’alimentation, de la production d’énergie ou de la réutilisation des déchets. Au final, l’ensemble des exemples exposés tend à montrer certaines formes de résistances à des mutations dictées par un contexte d’économie « financiarisée ». Les métropoles exemplaires creusent ainsi la voie de la « prospérité fertilisante », plutôt que de la « croissance tous azimuts » ; celle du « lien social qui fait sens » en lieu et place de la massification et de la fragmentation individualiste.
C.D-V
[1] Olivier Bouba-Olga et Michel Grossetti : La métropolisation, horizon indépassable de la croissance économique ? https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01078207/document