Made in India, le laboratoire écologique de la planète

Bénédicte MANIER

Premier Parallèle – 2015 – 155 pages

L’Inde apparaît pour BM comme un concentré de ce que la planète vit : un « laboratoire singulier, où cohabitent les effets les plus néfastes de la civilisation industrielle et les mobilisations écologistes les plus inspirantes ». Ce pays connait des évolutions irréversibles et à vitesse accélérée comparé à l’ensemble du globe. Dans le même temps, l’auteure considère que ce pays est probablement celui du monde où naissent le plus d’initiatives ingénieuses venues de citoyens ordinaires.

Le livre commence par la présentation d’initiatives locales de réduction ou de réutilisation des déchets.

A Kovalam, les déchets plastiques sont ramassés sur la plage et dans les décharges sauvages de la ville et renvoyés aux producteurs (Coca Cola et Pepsi notamment). Les hôtels et restaurants sont mis à contribution dans la diminution des déchets plastiques : on remplace le plastique des contenants par des matériaux locaux, réutilisables ou biodégradables. 2 000 femmes sont formées pour fabriquer ces nouveaux contenants et vivent aujourd’hui de la vente de ces produits. Les fermiers locaux ont aussi été aidés pour éliminer l’usage des pesticides et engrais dans leurs champs.

Dans la métropole de Pune existe une économie informelle du recyclage : les 7 000 waste pickers (en majorité des femmes) collectent les ordures et les apportent à des autoentrepreneurs qui en recyclent en moyenne 80%. Des actions de sensibilisation des habitants, des écoles et des entreprises se développent et une filière de tri et de recyclage s’est organisée.

A Bangalore, le secteur informel de l’upcycling (recycler des déchets en leur donnant une valeur ou une utilité supérieure) recycle les déchets informatiques. Des start-up récupèrent les ordinateurs ou des appareils électroniques inutilisés, les rénovent et les revendent. A New-Delhi, Swechha, organisation d’upcycling créatif et social, fabrique chaussures et objets du quotidien à partir de déchets. Swechha fait aussi des interventions dans les écoles et des formations auprès des habitants des bidonvilles.

Les Ugly Indians sont des bénévoles qui organisent des opérations flash de nettoyage des rues à Bangalore. Stars des réseaux sociaux, ils transforment une décharge en un lieu beau et convivial. Ils organisent aussi des salles de concert, galeries d’art ou salles de yoga éphémères dans des bouches de métro.

 

 

 

 

 

Sont ensuite présenté des exemples de développement du photovoltaïque dans les villages jusqu’alors privés d’électricité.

L’entreprise sociale Selco, fondée en 1995 à Bangalore, négocie des microprêts avec les banques rurales, les ONG et les coopératives paysannes pour permettre aux villages d’investir dans des panneaux photovoltaïques. Selco a aussi installé des stations solaires communautaires dans des bidonvilles proches de Bangalore pour pouvoir recharger des appareils électroniques. Cette entreprise souhaite à terme proposer aux villages et aux quartiers des microréseaux décentralisés d’énergie propre et former de jeunes électriciens dans les territoires concernés. L’ONG Pollinate Energy, aussi à Bangalore, fait installer l’électricité par les plus pauvres eux-mêmes en formant des microentrepreneurs issus des bidonvilles, appelés les « pollinisateurs ».

Le Barefoot college, fondé en 1972, est un lieu d’échanges de savoirs. Chaque année, 180 femmes viennent se former à l’électicité solaire, entretiennent dans leurs villages les équipements et forment à leur tour les femmes du village.

L’entreprise EdZilla software développe des contenus éducatifs et la fondation Sudvidya qui y est rattachée fournit du matériel informatique dans les villages, notamment des tablettes à énergie solaire.

 

L’auteure continue en présentant des réseaux de valorisation et de diffusion de savoir-faire locaux.

Le réseau Hony Bee articule les savoirs de fermiers, artisans, scientifique, informaticiens et étudiants pour recenser, valider et diffuser des inventions en do-it yourself, « élaborées par les pauvres pour les pauvres ». Dans ce campus-lab sont expérimentées et diffusées toutes sortes de solutions écologiques (engrais bio, pesticides naturels…), de médicaments à base de plantes (anitallergiques, antidouleurs…) etc. Une plate-forme technologique travaille sur des innovations high-tech pour les fermiers, médecins et entrepreneurs. La volonté de ce réseau étant d’aller vers « des sociétés auto-organisées, auto-suffisantes, où les qualifications de chacun serviront à tout le monde ».

L’ONG Digital Green parcours les campagnes indiennes pour recenser les solutions concrètes en matière d’agriculture écologique, de santé, de nutrition ou de microfinance communautaire, et les diffuser sur Youtube. En 2005, ces vidéos ont été visionnées plus de 660 000 fois, dans 7 600 villages d’Inde et d’Afrique.

 

L’auteure fait ensuite état d’innovations dans le champ d’équipements low-tech durables.

L’entreprise Smaat India installe des purificateurs d’eau dans les villages. Elle avance le prix d’installation et vend 0,20 Roupies (0,002 €) le litre d’eau. L’installation est ainsi amortie au bout de 10 ans. Ensuite, le point d’eau devient la propriété du village et un technicien local est formé pour en assurer l’entretien.

Greenway Grameen Infra est une start-up social qui a mis au point un poêle de cuisson qui brûle 70% de biomasse en moins par rapport aux poêles en argile traditionnels utilisés dans les villages. Les familles sont aidées par des ONG et des organismes de microcrédit pour acheter cet équipement, qui améliore grandement la vie des foyers (moins de bois à aller chercher, moins de fumées nocives à respirer…).

 

On prend connaissance également d’exemples de réappropriation des terres agricoles par des fermiers reconvertis à des méthodes d’agriculture paysanne écologique.

Un couple d’adeptes de la permaculture a réussi en quelque années à régénérer naturellement 12 hectares de terrain sec et isolé dans les collines de l’Andhra Pradesh. Les fermiers locaux ont adopté leurs méthodes et ont aussi mené une vaste opération de plantation d’arbres, ils ont installé des collecteurs de pluie, remis en état des points d’eau, et les fermiers sont aujourd’hui plus qu’autosuffisants. Ces 140 villages écorestaurés ont mis en place un réseau de surveillance forestière, des organismes de microfinance, des mutuelles d’assurances, une coopérative de planteurs d’arbres et ont ouvert des centres de formation à l’éco-entreprenariat.

A Pastapur, une récolte a été catastrophique en 1980. Par la suite, le gouvernement leur a envoyé des semences hybrides de céréales qui ont causé des allergies graves. Les paysans se sont alors désintéressés des champs et se sont contentés de manger les denrées envoyées par le gouvernement. L’association Deccan Development Society (DDS) a réussi à mobiliser les femmes : elles ont emprunté des semences à leur famille hors du district et redistribué les terres de leur territoire, de manière égale entre toutes les familles. En 6 mois, plus de 1 000 hectares sont revalorisés. Les fermières ont organisé un réseau coopératif de semences et ont remboursé en nature ce qu’elles avaient emprunté. En 3 ans, ces femmes ont assuré l’autosuffisance alimentaire d’une zone de plus de 200 000 habitants. De plus, elles ont instauré une autogouvernance unique en Inde : les villages sont dirigés démocratiquement par les femmes.

 

En 2014, l’Inde compte le plus grand nombre de producteurs bio au monde (548 000, chiffre en hausse de 20% par an). Dans ces zones, on ne compte plus de suicide, les fermiers sont autonomes en semences, refusent tout intrant chimique et ne sont pas endettés. Ces zones sont autosuffisantes, ne connaissent plus la malnutrition et les surplus produits assurent des revenus aux fermiers.

 

Concernant la reforestation citoyenne, l’association Sadhana Forest accueille chaque année 1 200 bénévoles du monde entier pour replanter des arbres et créer des forêts nourricières qui mélangent plantes et arbustes favorisant la fertilisation des sols, nécessitant peu d’entretien et produisant des fruits et des légumes.

 

L’auteure nous présente ensuite une initiative de lutte contre la désertification et l’assèchement des sols. Rajendra Singh a creusé des johads, des bassins de rétention d’eau de pluie, à Bhikampura, au Rajasthan, une région qui se transformait lentement en désert. Il a réussi à rassembler des centaines de volontaires autour de lui et aujourd’hui 10 000 structures donnent de l’eau à 700 000 habitants. Les champs et les arbres ont reconquis le terrain ; les légumes, des variétés locales, sont produits sans engrais ni pesticides et les nappes phréatiques remplies ont fait renaître des cours d’eau asséchés. Des « parlements » locaux autogérés permettent aux habitants de reprendre en main l’évolution de leur territoire en gérant eux-mêmes l’eau et l’entretien du réseau.

 

BM insiste enfin sur le pouvoir de la démocratie participative. Dans le Tamil Nadu, Elango Rangasamy, intouchable, est élu maire du village en 1996. Il constitue d’abord une assemblée locale où homme, femme, individu de caste supérieure comme inférieure dispose d’une voix égale. Sa liste de travaux est longue et demande aux habitants de les réaliser ensemble : rénovation des écoles, nettoyage des rues, installation d’éclairage public photovoltaïque, réhabilitation des quartiers insalubres… En 2000 il lance la construction d’un quartier d’habitation mixant les castes et religions. Le projet réussit et est même reprit par le gouvernement du Tamil Nadu. Enfin, Elango développe des circuits de transformation des productions locales. Sauf voiture, essence et informatique, le village devient autosuffisant en bien et service et le chômage n’existe plus. Aujourd’hui, 60 villages ont obtenu les mêmes résultats.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le dernier chapitre présente des initiatives solidaires en matière de santé.

Dans les villes, des hôpitaux soignent gratuitement les plus démunis en les finançant par des fondations et le paiement au tarif normal effectué par les autres patients.

En zone rurale, la télémédecine se développe. Une ONG forme des citoyens pour devenir des agents locaux de santé pouvant détecter la tuberculose avec une tablette équipée d’un terminal biométrique. Une autre forme des femmes à l’exécution d’examens simples pour détecter de l’hypertension, du diabète ou de l’anémie et transmettent les résultats via des tablettes connectées.

Le premier réseau citoyen de soins palliatifs au monde a été créé en 2000 dans le Kerala : des personnes de tous milieux donnent de leur temps pour assister les malades en fin de vie.

 

En conclusion, si l’Inde est un pays émergent par son industrialisation accélérée, elle l’est aussi par la multitude d’initiatives locales répondant aux enjeux sociaux, économiques et écologiques du pays. Ces initiatives inversent la tendance actuelle de surexploitation des ressources et des impacts qu’elle à sur nos sociétés. Les expérimentations présentées dans cet ouvrage nous montrent la réussite de projets locaux de réparation des écosystèmes et d’organisations locales d’instances de décision et de gestion. Si ces avancées repensent les interactions entre l’homme et son environnement, elles permettent aussi de développer des échanges avec d’autres pays du monde sur le partage d’innovations de terrain. Si le gouvernement indien met le cap depuis l’indépendance vers un avenir industriel, ces expérimentations locales et la transmission de leurs résultats à l’international fait aussi de l’Inde un exemple de développement durable et éthique. Elles montrent que les solutions pour réparer les atteintes à l’environnement peuvent venir des citoyens eux-mêmes, informés, connectés et actifs.

 

Renvois :

 

¤ Bénédicte MANIER, Quand les femmes auront disparu (Asie…) – FW N°22.

 

¤ Jean-Joseph BOILLOT, L’économie de l’Inde – FW N°22.

 

¤ Sylvie BRUNEL, A qui profite le Développement Durable ? – FW N°31.

 

¤ Günter PAULI, Croissance sans limite (ZERI) – FW N°36.

 

¤ Sébastien SANTANDER, Puissances émergentes : un défi pour l’Europe ?

FW N°45.

 

 

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