Réunifier la Bretagne ? (Région contre métropoles ?)

Les débats sur la réforme territoriale de 2014, étape majeure d’une décentralisation proclamée, sont loin d’être terminés. Le rêve tant attendu d’une réunification de la Bretagne s’est une nouvelle fois évanoui. Côté brouillon et précipité de la méthode, multiplicité des propositions, fermeture des débats au profit des intérêts de quelques notables, ont généré colère et révolte. Mais la question reste ouverte. La démocratie a été bafouée ; le retour de la Loire-Atlantique n’a pas eu lieu ; les transferts de compétence semblent oubliés ; le rêve d’une Assemblée unique de Bretagne s’éloigne.  Derrière cet apparent gâchis d’une réunification qui fait peur, les enjeux de la métropolisation se profilent. Plus subtils et dangereux, ne visent-ils pas l’éclatement de la Région ?

Acteurs impliqués de la société bretonne, le collectif de géographes qui a produit ce livre apporte des réflexions et des expertises à un débat démocratique, pour une Région à forte personnalité, cohérente et responsable, tournée vers l’avenir dans le cadre de la République.

Yves LEBAHY & Gael BRIAND (Dir.)
Réunifier la Bretagne ? (Région contre métropoles ?)
Skol Vreizh – 2015 – 155 pages

            Une rupture s’établit entre Haute et Basse-Bretagne selon une ligne allant de la Rance à la Laïta, à l’Odet à terme probablement. A l’Ouest de cette ligne, un processus de « cornouaillisation » est à l’œuvre selon le modèle britannique, vidant la partie occidentale de la Région de tout dynamisme et ne lui attribuant au mieux qu’une fonction agricole et surtout récréative destinée aux populations de la conurbation orientale et d’autres aires métropolitaines, Ile-de-France en particulier. Le constat est dressé.

Rappelons que le fossé Est-Ouest de la Bretagne fut mis en évidence de manière caractérisée en lors d’un Exercice de Prospective Exploratoire mené par Futurouest dans le cadre du « Finistère-Nord »….. en 1997 !

            Sur le « dépeçage à la française » de 2014, beaucoup a déjà été écrit. Il est néanmoins salutaire de redécouvrir des errements des pouvoirs publics parisiens ignorants (ignares ?) des réalités culturelles (grand « C ») qui fondent la prospérité d’un territoire, sans oublier les dimensionnements exagérés des structures imaginées. Ainsi, l’assemblée pléthorique du Grand Lyon qui compte 155 élus dont 40 vice-Présidents, tandis que l’Assemblée du Grand Londres en compte 25 !

            En revanche, la carte de la p.56 laisse perplexe tant il est facile d’imaginer qu’elle fut dessiner dans un souci technocratique régionaliste et non pas en s’appuyant sur les réalités culturelles fondatrices d’une vraie région, d’une vraie province.

Les auteurs rappellent à juste titre que la Bretagne a toujours été prospère lorsqu’elle était maritime et que l’Argoat et l’Armor se soudaient. Il n’est pas anodin de rappeler que, selon l’historien Jean Delumeau, la Région frappait environ un tiers de l’or français au 17e siècle, ce qui révèle l’incroyable puissance bretonne de l’époque.

A toutes les époques et à toutes les échelles, c’est l’interaction réussie entre terre et mer qui fait la dynamique économique bretonne ; lorsque la synergie est rompue, l’économie régionale se désagrège.

          Regarder une carte de la façade maritime de l’Europe où figurent les relevés des tonnages de frets traités par les grands ports laisse aussi perplexe : aucun des ports bretons n’y figurent, tandis que Rotterdam, Anvers, Hambourg et quelques autres dominent largement dans domaine d’activité ô combien crucial à l’heure de la Globalisation.

          Les auteurs rappellent aussi les mutations vécues depuis plus de trente ans et l’entrée dans l’Ere de L’Information (Manuel Castels) et combien les leviers numériques ont changé la donne de l’aménagement du territoire.

           Des villes, mêmes petites, des laboratoires et des universités, des centres de recherche peuvent jouer le même rôle qu’une métropole – dont on mesure les effets bénéfiques et jamais les effets iatrogènes, comme par hasard – dès lors qu’ils affichent solidarité et fonctionnement en réseau sur un territoire régional. Et l’identité de celui-ci houe alors tout autant en matière de communication que celui formaté et répété à l’infini d’une « métropole ».

           S’il faut donner un exemple parmi de nombreux autres, les auteurs citent la Station Biologique de Roscoff née au début du 20e siècle et qui, de nos jours, affiche une réputation mondiale dans son domaine. Bien éloignée des « métropoles », dont les tenants continuent de laisser croire qu’en dehors d’elles, point de salut. Nous (Futurouest) pourrions aussi citer l’antenne vannetaise de société US Wind River – leader mondiale des logiciels embarqués dans les sondes et dans les rovers spatiaux : ses quarante ingénieurs ont choisi de vivre et travailler… loin de Paris.

       Reste l’imbroglio du « mouvement politique breton » qui est en retard d’analyse sur les mutations citées et qui reste largement inféodé à une conception centralisatrice de l’action politique. Faut-il rappeler pour faire douleur que l’UDB – Union Démocratique Bretonne – avait appelé à voter Non lors du référendum portant sur la régionalisation d’Avril 1969 proposé par le Président De Gaulle…

            Comprenne qui pourra.

LF

Renvois :
¤ Nathalie DUGALES (et all), Bretagne plurielle – FuturWest N°26
¤ Olivier BOMSEL, L’économie immatérielle – FuturWest N°38
¤ Loeiz LAURENT, Petits Départements et grandes Régions – FuturWest N°39
¤ Driss GUERRAOUI, Intelligence territoriale et développement régional – FuturWest N°43
¤ Stéphanie TRILLE, La coopération territoriale en Europe – FuturWest N°49
¤ Jean-Michel TRUONG , Reprendre : ni sang, ni dette – FuturWest N°50
¤ François HULBERT, Millefeuille territorial et décentralisation – FuturWest N°54
¤ « Le futur des Régions » – Futurwest n°51.