En finir avec le libéralisme à la française

 

Si la France est aujourd’hui en crise, c’est parce qu’elle s’est enlisée depuis trente ans dans le libéralisme. Car, la France, malgré ses dépenses publiques record et son droit du travail pléthorique, est bel et bien libérale.

L’Etat a démissionné. Après avoir libéralisé l’économie sans aucune stratégie, il se contente de porter à bout de bras ceux, toujours plus nombreux, qui ne trouvent pas leur place dans le système.

Dans ce contexte, chacun défend ses intérêts. Les investisseurs et les entreprises se concentrent sur le court terme. Les grands groupent engagent des luttes fratricides avec les PME et négligent leurs employés. Les banques s’écartent de leur mission, et la politique monétaire joue les pousse-au-crime.

Tous les gouvernements sans exception soutiennent ce modèle libéral. Mais aucun ne l’assume, ce qui fait le lit de tous les extrêmes et discrédite la classe politique.

Pour Guillaume Sarlat, polytechnicien et inspecteur des Finances, fondateur d’une société de conseil en stratégie aux entreprises, en finir avec le libéralisme à la française passe par des mesures concrètes : sortir de la BCE, créer une dette publique perpétuelle, défiscaliser les investissements de long terme…

Nul besoin de nouvelles idéologies, mais de politiques qui osent passer à l’action.

 

 

Guillaume SARLAT

En finir avec le libéralisme à la française

Albin Michel – 2015 – 230 pages

 

Il n’y a pas d’alternative, vraiment ?

Nos divers responsables politiques de tout bord depuis au moins trois décennies ont tenu ces propos. Ils crient à la faillite de la France. Pour l’auteur, cette attitude fait le jeu des politiques et favorise leur intérêt en maintenant un statu quo. Il conteste cette vision, à condition de développer une alternative.

 

L’échec du libéralisme à la française

L’auteur établit le point de départ des difficultés actuelles dans les années 80, où la France quitte une politique planifiée pour une économie libérale, mais en précisant que dans le libéralisme à la française, seule une partie de l’économie est libérale. L’Etat crée une économie parallèle hors marché et hors libre-échange pour traiter les dégâts du libéralisme par une multiplicité de dispositifs sociaux (TUC, RMI-RSA, APA, APL, CMU, …), qui ne peuvent être financés que sur fonds publics et qui sont donc créateur de dettes. Avec pour conséquence, une entrave aux possibilités d’investissements, conditions indispensables à la croissance et à la création d’emploi. Pire, en se concentrant sur le social et en se désengageant du contrôle des acteurs économiques – confié à des « autorités nationales » de régulation sans réelle légitimité pour insuffler une politique industrielle ou à des institutions européennes telle que la BCE – l’Etat à ouvert la voie aux intérêts individuels ou aux stratégies opportunistes des divers acteurs.

 

La BCE a pour rôles d’émettre la monnaie, de contrôler les banques commerciales et de fixer le prix de l’argent. Mais en tant qu’entité indépendante, elle n’a de compte à rendre ni aux gouvernements ni aux instances européennes. En émettant en permanence des Euro, la BCE a contribué à créer une masse monétaire surabondante génératrice entre autre de dettes publiques excessives et est une source de la crise financière qu’elle continue aujourd’hui à alimenter.

La tendance naturelle des investisseurs à privilégier les engagements rentables à court terme est favorisée par cette augmentation de la masse monétaire. Elle est préjudiciable aux entreprises dont l’investissement a besoin d’être financé sur une durée correspondant à la maturité de leur développement. Mais le débat sur le court-termisme et « l’horizon de temps des investisseurs » n’a pas encore eu lieu en France.

Les banques, dont le rôle est la collecte des dépôts, le financement par le crédit et le contrôle des moyens de paiement, sont en général, du fait de leur statut ou histoire (mutualistes par exemple), peu rentables. Elles ont réagi en se diversifiant (assurances, …) mais en abandonnant une partie de leur cœur de métier : le financement de l’économie. De même, les entreprises, imitant les investisseurs privilégiant le court terme, développent des comportements opportunistes préjudiciables en termes d’emploi. Les managers s’alignent sur les comportements des actionnaires et privilégient la rentabilité immédiate au détriment de la croissance future.

Le libéralisme à la française a pour effet de « faciliter » la gestion du personnel en favorisant les débauches des salariés les plus coûteux (plutôt que la formation) et l’embauche de jeunes aux salaires moins élevés, les débauchés pouvant bénéficier des dispositifs sociaux de l’Etat Providence, avec une conséquence dommageable : la perte du savoir-faire et des acquis de l’expérience.

 

Un déclin en pente douce

Les grandes entreprises, du CAC 40 essentiellement, (et les classes dirigeantes) tirent donc profit de ce libéralisme. Par contre, la majorité des français vivent depuis trente ans dans un environnement de crise. La croissance de l’économie française est en panne, le commerce extérieur est en déficit, de même que l’innovation, les niveaux de vie diminuent, résultante du chômage, du sous-emploi, de la précarité. Aujourd’hui 15% des adultes vivent dans un foyer ne disposant d’aucun revenu du travail, les inégalités s’accroissent. Si les grands groupes sont bénéficiaires de cet état de fait, une grande partie de la population est exclue de la croissance économique et du progrès social.

 

Le système n’a pas été remis en cause par les alternances au pouvoir. Malgré les promesses, N. Sarkozy et F. Hollande ont surtout menées des actions moralisatrices mais n’ont pas remis en cause ce modèle libéral à la française, avec les mêmes résultats décevants.

On peut pourtant en sortir.

On peut prendre exemple sur des modèles étrangers, allemands et anglais notamment qui ont pris dans les années 80-90 les mêmes virages libéraux et qui s’en sortent mieux.

Le modèle allemand s’appuyait sur une industrie lourde, des banques régionales fortes, un développement de l’apprentissage, un dialogue social efficace. Les banques régionales sont restées très impliquées dans l’économie même dans le cadre d’un libéralisme plus fort, en gardant une capacité à évoluer. Mais ce modèle, du fait des spécificités particulières n’est pas transposable en France.

Le modèle anglais se caractérisait par un tournant économique très libéral dans les années 80 (Mme Thatcher) en rupture avec le modèle social précédent. Leur refus de l’Euro leur a permis de conserver un élément majeur de politique économique (maîtrise monétaire) que la France a perdu au profit de la BCE. De plus, l’Angleterre n’a pas multiplié les dispositifs sociaux. Mais ce modèle n’est pas non plus transposable.

 

Avec un taux de chômage proche du minimum technique (environ 5%), ces pays ont opté pour la libre entreprise, mais leur exemple montre que leur choix ne conduit pas nécessairement à une économie à deux vitesses, l’une libérale, l’autre soutenue par des fonds publics.

Que faire ? : repenser l’économie.

Pour imaginer une alternative au libéralisme à la française, Guillaume Sarlat s’appuie sur la théorie de Karl Polanyi selon laquelle il existe un modèle économique et social qui est ni le dirigisme centralisé des Trente Glorieuses ni l’économie libérale de marché à deux vitesses. Il y développe le concept de réciprocité qui implique la symétrie de la relation dans le sens où chacun est attentif aux caractéristiques et aux spécificités de l’autre et porte une responsabilité vis-à-vis de la société. La liberté est la règle mais la société au travers de la politique et de l’Etat reprend ses droits sur l’économie et lui donne du sens.

La France est en panne de croissance et de progrès social, les administrations sont endettées, la fracture sociétale est visible, faisant craindre une explosion sociale.

En réalité, la France n’est pas au bord du gouffre et personne n’a intérêt à une rupture brutale. Mais il faut redonner un rôle à l’Etat. Comment ? Pas par dirigisme.

Agir par incitations simples, pérennes et visibles. L’Europe ne l’interdit pas, notamment dans le domaine des aides aux entreprises ou de la politique sociale et industrielle, sauf en matière monétaire où règne la BCE. L’Etat conserve un rôle économique important à jouer en tant qu’investisseur dès lors que des biens publics sont en jeu et qui n’ont souvent que peu de succès auprès des investisseurs privés.

 

Ce concept implique aussi, pour répondre aux attentes des français, une remise en cause du modèle vertical d’autorité hiérarchique professionnelle et, de la part de l’Etat, davantage de libertés individuelles, moins de valeurs et de principes moraux et d’autres formes d’action que le droit : préférer les incitations aux injonctions et interdictions. Inscrit dans la durée, ce schéma permettrait un changement progressif et non brutal tout en étant incarné par le dirigeant (politique ou managérial). C’est une autre politique de société.

Il reste la question de l’Euro et de la politique monétaire.

 

La BCE joue depuis quinze ans un rôle clé dans le libéralisme à la française. Mais un rôle négatif. Elle finance l’explosion de la dette publique et favorise les attitudes court-termistes des investisseurs, des banques et des grandes entreprises.

La solution idéale serait de sortir de la BCE tout en gardant l’Euro. Le bilan de l’Euro est contrasté, mais il a de multiples avantages. Par contre, il faut réformer et renationaliser la politique monétaire. Il n’y a pas de dénominateur commun des politiques monétaires nationales dans la Zone Euro (sauf l’objectif d’inflation contenue). Il faut donc agir au plan national et que la France reprenne des responsabilités à la BCE, responsabilités qui viendraient sous le contrôle des instances démocratiques nationales. Il faudrait ensuite mettre en place une politique monétaire active qui suive et pilote les prix et le volume des actifs (immobilier, actions, crédit aux particuliers et aux entreprises, …) et qui redonnerait un rôle prépondérant à une Banque de France également responsable sur le plan démocratique.

 

Il y a une situation paradoxale : il y a trop d’Euro en circulation, mais trop peu sont orientés vers les investissements à long terme, clé de la croissance.

Pour rompre avec cette situation, il faut un choc d’investissement à long terme, mobilisant l’Etat, les investisseurs institutionnels et particuliers, les banques.

– L’Etat a déserté le domaine économique pour se concentrer sur la sphère sociale. Il doit se réinvestir dans les dépenses d’avenir financées par la création d’une dette publique perpétuelle considérée par les investisseurs comme un produit financier à long terme. De plus, assimilée à du capital elle n’entrerait pas dans les critères de calcul de Maastricht.

– Pour les investissements privés, l’incitation à participer au financement de la dette perpétuelle serait une exonération de toute fiscalité.

– Recentrer les banques sur leurs activités de financement. Une proposition incitative consisterait à regrouper toutes les activités diversifiées (assurance, immobilier, …) dans une filiale qui seule bénéficierait de la garantie des dépôts de l’Etat. Les banques seraient ainsi amenées à se recentrer sur le financement de l’économie, leur cœur de métier (en admettant que la définition des limites de ce cœur de métier n’est pas facile à faire).

 

Ce nouveau modèle incitatif et vertueux associe l’Etat, les investisseurs, les banques dans une vision de financement de l’économie française par l’investissement à long terme. Un frein subsiste pour les PME du fait de leur fragilité, en partie due aux attitudes des grandes entreprises. Il faudra donc trouver une solution incitative pour pousser les PME et les grands groupes à coopérer, par exemple en permettant à ceux-ci de bénéficier de défiscalisation lorsqu’ils participent au financement de l’innovation dans les PME ou start-up, ou lors d’un accompagnement du développement de PME par un partage de salariés.

Il reste un problème essentiel : le chômage.

Aujourd’hui, l’Etat Providence palie les insuffisances du marché de l‘emploi. Pour inverser la tendance, il faut :

– que les entreprises, en partie responsables de cette situation, soient plus responsabilisées, par exemple en rendant plus coûteux les comportements de gestion opportuniste de l’emploi (par une modulation des cotisations chômage, …), mais également en reconnaissant la contribution sociale des entreprises qui investissent dans les relations humaines (favoriser efficacement les contrats d’alternance).

– engager une modification des relations humaines entre salariés et entreprises. Une confiance retrouvée pourrait inciter les salariés à être des actionnaires des entreprises. Cet actionnariat serait même le meilleur moyen d’impliquer les salariés dans l’entreprise et de contribuer à son développent et à sa réussite, dans une relation apaisée.

 

Conclusion

Il est donc possible d’en finir avec le libéralisme à la française avec quelques postulats :

– rester dans l’Euro mais sortir de la BCE

– créer une dette publique perpétuelle et exonérer de toute fiscalité les investissements à long terme

– séparer les activités des banques pour les recentrer sur l’économie

– intéresser les salariés à leur entreprise

Mais ces idées simples se heurtent avant tout à l’absence d’intérêt de chacun à bousculer le système et changer de modèle, notamment de la part des « élites » qui détiennent les pouvoirs économique, politique et administratif. La classe politique actuelle, issue de grandes écoles ou de grandes administrations n’a pas réellement une culture économique. Et pourtant, la gestion et l’impulsion économique sont du ressort du politique.

La France attend une classe politique qui connaisse l’économie et qui puisse insuffler des idées nouvelles permettant de sortir de l’impasse actuelle.

 

Renvois :

 

¤ Valérie CHAROLLES, Le libéralisme contre le capitalisme – FW N°23.

 

¤ Bernard GUERRIEN, L’illusion économique – FW N°27.

 

¤ Noël AMEC Noël, L’impuissance publique – FW N°33.

 

¤ Pascal SALIN, Revenir au capitalisme pour éviter les crises – FW N°37.

 

¤ Maurice DECAILLOT, L’économie équitable – FW N°41.

 

¤ Jean-Marc DANIEL, Huit leçons d’histoire économique – FW N°47.

 

¤ Laurence FONTAINE, Le Marché : histoire d’une conquête sociale – FW N°52.

 

 

PN