Et les faibles subissent ce qu’ils doivent ?

Yanis VAROUFAKIS

Les liens qui libèrent – 2016 – 440 pages

            Roman ou essai ?

Au fil de la lecture, la question revient régulièrement tant la prose est enrobée de lyrisme, de romance, de métaphores philosophiques… alors que l’annonce du livre est un essai rigoureux.

Ajoutons à ceci que Y.V. est « monsieur je sais tout sur tout », et qu’il y a d’un côté la méchante Allemagne et la bonne Grèce.

Dès la page 11, une contre-vérité est assénée « Notre gouvernement de gauche venait de battre aux élections les alliés des Allemands en Grèce, le parti de la Nouvelle Démocratie (et le PASOK) ». Hélas, le compte des voix [Ministère grec] montre que 77% du corps électoral grec n’avait pas voté pour Siryza !

 

L’auteur, sûr de lui, fait remonter le projet de construction européenne à 1946 sous la tutelle des USA. Il ignore sans doute les accords de Locarno de 1925 sous les égides de Stresemann et Briand [Prix Nobel de la Paix 1926] ; sans aller jusqu’à lui rappeler le projet de Victor Hugo au milieu du 19e siècle… voire l’appel du roi Henri IV à fonder une « union européenne » au début du 17e siècle…

 

La manière romanesque utilisée – le livre aurait pu faire deux cents pages de moins en s’en tenant à l’essentiel – amène Y.V. à faire des allers-retours incessants dans l’histoire du 20e siècle et du début du 21e , ce qui donne un peu le tournis au lecteur, d’autant que l’écrivain finit par s’emmêler les pieds dans les dates. Evidemment, ce choix discursif à un avantage pour la thèse qu’il veut démontrer ; mais un inconvénient majeur : il applique des analyses homothétiques à des situations historiques, géopolitiques, socio-économiques qui n’ont pas grand-chose en commun. Bref, c’est une approche non-systémique.

« Vers la fin des années 1960, la jeunesse du monde entier était en révolte contre la prospérité dans le mal-être qu’avait apporté [les accords de] Bretton-Woods et elle exultait à tous les signes de son effondrement. L’insurrection de Paris et même Woodstock…… » (P.114). Nous lui rappellerons gentiment que le « monde entier » se résumait à un quart de l’humanité en voyant large.

 

 

L’auteur entend donner des leçons d’économie (terme grec d’origine). Cela ne l’empêche pas de croire aux « lois » économiques (P.139) dont on sait pertinemment qu’elles n’existent pas, l’économie n’étant pas une science – le critère absolu étant la présence d’invariants en toutes circonstances, en tout temps et en tous lieux. Il affirme encore P.198 qu’il y a un « consensus entre les économistes » concernant la libre circulation des marchandises et des capitaux qui ne peuvent être associés à des taux de change fixes, sauf si le système prévoit un mécanisme de recyclage des excédents. Vrai au début du capitalisme – pas de création de monnaie ex-nihilo -, faux dans la globalisation financière.

Il récidive P.342 en invectivant les dirigeants européens via des dirigeants américains, les premiers ignorants les « lois élémentaires de la macroéconomie ».

 

Rappel : Depuis 1968, les économistes qui étaient en manque ont réussi – à l’encontre du Comité Nobel qui s’y refusait – à faire créer un « Prix d’économie de la Banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel » – prix baptisé prix Nobel par les journalistes incultes.

Or, ce prix a récompensé # 30 théories économiques différentes en moins de cinquante ans ! Pour le consensus…faudra attendre.

 

Concernant la ratification du Traité de Maastricht par l’électorat français, il méconnaît le fait que ce sont les Bretons, au principal, et les Alsaciens, au complémentaire, qui ont permis la ratification ; seules ses deux régions ont voté Oui à 60%, toutes les autres étant à 51/49 dans un sens ou dans l’autre.

 

Sur les comparaisons entre la Grèce et l’Irlande, ses raisonnements sont courts. La dette irlandaise était une dette privée (comme en Espagne), la dette grecque était une dette publique, acquise par les mensonges des politiques au pouvoir depuis vingt-cinq ans (voir à ce sujet les apports de Nikos Vlantis sur les mensonges et les errements des Grecs dans le rapport de recherche sur la Démocratie – www.futurouest.com ).

Au passage il oublie une chose : les Irlandais ont remboursé en cinq ans les deux-tiers des 85 G€ prêtés par la BCE ; l’austérité y a conduit à un taux de chômage de 14% et une nouvelle émigration de l’ordre de 225 000 personnes. Mais les Irlandais se sont surtout retroussé les manches et depuis 2015 la croissance est soutenue, le chômage revenu à 7% et les émigrés à moitié de retour. De même, s’il se désole que dans son Pays l’austérité ait conduit à l’entrée du parti néonazi Aube Dorée au Parlement, il ne s’interroge pas pour savoir pourquoi, malgré une dure austérité, ceci n’existe pas en Irlande, pas plus que dans les Etats du Conseil Nordique … dont il ne parle jamais.

 

Des allers-retours historiques dont nous avons déjà parlé, l’auteur fait des rapprochements audacieux. Ainsi de la volonté des Nazis qui ont été (dixit) les premiers à planifier une union économique et monétaire européenne…

Dans le même ordre d’idée, ne pas savoir que la CEE puis l’UE furent essentiellement conçues et construites pour mettre un terme aux guerres fratricides de 1870 à 1940 – quinze millions de (jeunes) vies épargnées – ; puis pour tenter d’acclimater des relations socioéconomiques apaisées entre Pays ayant des cultures différentes en ce domaine ; puis, pour faire pièce à l’empire soviétique – les USA et leurs alliés avaient une hantise du communisme -, puis pour favoriser via la jeunesse des respects mutuels… c’est être trop réducteur. S’il avait assimilé ces éléments fondamentaux il n’utiliserait pas le « cas italien » pour justifier le « cas grec ». L’UE est avant tout un projet culturel. [Jean Monnet]

En effet, s’il était connu que les données socioéconomiques grecques n’auraient pas dû lui permettre d’intégrer les zones Euro tant ils étaient trafiqués ; en revanche, pour l’Italie il ne s’agissait que d’un seul des critères, celui de la dette publique qui était effectivement supérieur aux 60% du Traité. Il n’y eut pas de complaisance envers l’Italie mais jugement pondéré : avec 18% du PIB de la Zone Euro, elle avait les moyens de se rétablir… et c’était l’un des six Etats fondateurs des Traités de Rome (CEE et Euratom).

 

 

  1. 304, sans doute dans le but d’étayer sa thèse, il cite Jacques Delors, alors Président de la Commission Européenne qui indiquait qu’il fallait limiter l’influence des grands Etats par la subsidiarité. Y.V. affirme que ce principe pose qu’il faut laisser aux Etats nationaux de concevoir et de mettre en œuvre eux-mêmes leurs politiques dans les domaines de l’action publique qui peuvent être conduites de façon relativement satisfaisante au niveau de l’Etat-Nation. Outre que ce principe vaut surtout au niveau des NUTS – territoires reconnus pour les politiques communes FSE, FEDER, FEADER, etc., il implique en amont que chaque Etat respecte sa signature approuvant les Traités, sinon, à quoi bon en élaborer si c’est pour les mettre à la trappe. Dans le Monde de la Globalisation, seuls des ensembles puissants – type UE – peuvent se faire respecter.

 

L’auteur fait aussi souvent référence au New Deal de Roosevelt, comme d’autres en France font référence quasi religieuse au programme du Conseil National de la Résistance, comme s’il ne s’était rien passé depuis 1932 ou 1944. Il ne s’agit pas d’accepter les dérèglements – euphémisme – actuels et l’accroissement des inégalités entre Pays riches et Pays pauvres, ainsi qu’à l’intérieur des Pays eux-mêmes, il s’agit de concevoir et trouver des chemins d’application de solutions compatibles. Force est de constater que le pendant « communiste » ayant disparu, rien n’est venu le remplacer pour contrecarrer les exactions de la mondialisation financière.

Pour ce qui est de l’UE, nous savons parfaitement que l’application du Traité de Maastricht est restée au milieu du gué : l’UEM a quasiment été bouclée et l’Euro en est un résultat sans précédent, devenu en moins de quinze ans une monnaie qui couvre 25% des transactions commerciales de la Planète, à tel point que moult Pays qui ne sont ni dans l’UE ni dans la Zone Euro l’utilise. Mais, les parties complémentaires politiques du Traité de 1992 sont restées « in progress » très lent : fédéralisation politique (et non plus accords laborieux intergouvernementaux, seul chemin actuel des Traités successifs), harmonisation des politiques sociales, harmonisation des politiques fiscales, harmonisation des réglementations « hors coût »…etc… A titre indicatif, pour le social et le fiscal, c’était prévu dans le titre III du projet de TCE de 2005 … rejeté par les Français et les Néerlandais.

 

Une fois retirée la partie lyrique et les annexes, il reste au lecteur les PP. 356 à 360 pour y lire les propositions de Yanis Varoufakis :

 

¤         Un programme bancaire au cas par cas. Pour exemple, ce serait au MES et non à l’Etat national qu’il incombera de restructurer, recapitaliser ou liquider les banques en faillite.

¤         Un programme de conversion limitée des dettes. Il est proposé aux Etats-membres qui ont une dette supérieure au critère de 60% du PIB de convertir l’excédent en obligations de la BCE.

¤         Un programme de convergence et de reprise dynamisé par l’investissement via la Banque Européenne d’Investissement et le Fonds Européen d’Investissement. L’objectif est de mutualisé des efforts à hauteur de 8% du PIB de la Zone Euro.

¤         Un programme de solidarité sociale d’urgence pour combattre la montée de la pauvreté.

 

 

LF