Générations collapsonautes

« Nous voyons la banquise fondre, les espèces disparaître, les inégalités s’exacerber : tout nous annonce que nos modes de vie sont condamnés à un  » effondrement  » qui vient. Nous savons la nécessité d’une mutation verigineuse, à laquelle nous ne parvenons pas à croire.

Comment sortir de cette hantise – sans nier sa réalité ni subir sa fascination ? En multipliant les perspectives qui dévoilent une pluralité d’effondrements déjà en cours, plutôt qu’un unique écroulement à venir. En questionnant ce « nous » de la collapsologie à partir de temporalités alternatives, d’attentions altérées, de points de vues excentrés et excentriques.

Écrit à quatre mains, ce livre s’adresse à toutes les générations collapsonautes – jeunes et moins jeunes – qui ont mieux à faire que se laisser méduser par la menace de la catastrophe à venir. Désespérées mais pas pessimistes, elles s’ingénient à accueillir et cultiver des formes de vie qui échappent par le haut au capitalisme extractiviste. Condamnés à naviguer sur les effondrements en cours, elles génèrent d’ores et déjà des arts inédits du soulèvement et du montage – dont ce bref essai encourage à hisser les voiles. »

Yves CITTON et Jacopo RASMI

Générations collapsonautes

Seuil – la couleur des idées, 2020, 272 p.

Cette rencontre entre deux écrivains de deux générations donne l’occasion de rappeler trois étapes propices à cette mobilisation :

  • les années 1970 avec la mise en évidence de l’inversion des courbes dans le rapport Meadows (The Limits to Growth) et l’émergence d’une génération pionnière de l’écologie ;
  • les années 1990 avec les engagements du Sommet de Rio dédiés au développement durable et l’affirmation des altermondialistes portés pour partie par la « décroissance » ;
  • les années 2010 à l’issue de l’accord de Paris sur le climat, où « une jeune génération primo-militante qui se politise en acquérant la certitude qu’adviendront de son vivant des grandes ruptures écologiques » pour reprendre les propos de Luc Semal.

Quelle sera la prochaine mobilisation générationnelle en 2030 ? Les références culturelles et artistiques partagées dans l’ouvrage suggèrent quelques signaux où la fiction prend le pas au point de critiquer « les experts prospectivistes (habituellement survitaminés aux données chiffrées)« . Pour autant, la mobilisation des trois modalités d’organisation mises en avant pour réorienter nos organisations – l’étude au sens de l’écoute mutuelle, l’improvisation collective en faveur du pluralisme des idées et la poésie, fruit de la créativité – rappellent les principes à partir desquels la prospective territoriale est travaillée à Futurouest depuis sa création.

En l’absence de chiffres sur l’effondrement annoncé ici, les auteurs se concentrent à « diversifier les points de vue susceptibles d’en décadrer l’éblouissement paralysant« , sans « mythifier tout âge d’or perdu » ou attendre « l’avènement d’une Vérité toute faite« . L’objectif est de nous sortir de vision « strictement linéaire et horizontale du temps, vouée à vivre toute chute comme une fin du temps« . L’enseignement d’un point de vue décolonial nous apprend que la hantise d’une menace apocalyptique affecte surtout les occidentaux bénéficiaires des politiques néolibérales. Une constante résumée par Bush (père) dès le début des années 1990 : « The American way of life is not up for générations » et en partie déplorée lors de la vague jaune sur les ronds points à la fin des années 2010 !

Quelque soit la dimension choisie entre la « globalisation » au sens du capitalisme libéral, la « mondialisation » avec une homogénéisation des modes de vie, ou la planète Terre comme étant Notre environnement humain, « c’est parce qu’on y croît (au sens de grandir, pousser, habiter) qu’on y croit (au sens de la croyance, confiance) » 😉 Ce calembour insiste sur l’interdépendance entre l’humanité et la biodiversité. Replacer les paysages et le temps qu’il fait dans notre quotidien implique d’aller au-delà de la « simple conversation d’ascenseur (ndlr. ou de voisinage), avec pour cadre temporel le barbecue du dimanche« .

La formulation bienvenue « d’un être humain-sans-monde nous fait moins peur que le monde-sans-être-humain » renvoie à la fragilité de l’humanité. Trois postures sont préconisées pour un nouveau rapport affectif à la nature : l’instabilité, la prudence et l’humilité (nous retiendrons pour cette dernière « que l’étymologie définit par une proximité avec l’humus, qui rase le sol plutôt que les murs »). Dès lors, la critique de la connectivité numérique permanente en tant que vie téléguidée dans l’instantanéité et en ligne droite, est fournie à grands renforts de références : Roland Barthes, David Graeber, Tim Ingold, Franco Berardi, Shoshana Zuboff…

Ces chercheurs de l’effondrement – collapsonautes – invitent en mobilisant les propos de François Tison à « faire défection en refusant le mode de vie auquel nous sommes soumis« . Ils vont même plus loin en stigmatisant « l’ère souverainiste des « autos » (automobiles, auto-entrepreneurs, autonomies, auto-suffisances) appartient au passé« . « C’est par des médiations favorables à la construction de nouveaux communs que dépendra notre avenir« , par davantage de liens sociaux, de compétences artisanales ou de temps libéré. Faire soutenable, faire pluriel, faire équitable, leurs trois visées apparaissent consensuelles pour engager le fameux « monde d’après » !