La laïcité, défi du 21ème siècle

Le 21e siècle sera laïc ou ne sera pas. Tel est le défi lancé à notre époque. Et la
dimension de ce combat est planétaire. Mais l’auteur entend d’abord faire le point sur « l’exception française ». Il renouvelle la réflexion en présentant une histoire de la laïcité depuis la Révolution et en montrant qu’elle ne se limite pas à la neutralité de l’Etat. « La laïcité, c’est plus que la séparation », ne cesse-t-il de dire. C’est un processus de longue durée, multiforme, et par nature inachevé, comme l’illustrent les chapitres consacrés à la contraception, à l’IVG, au « mariage pour tous », mais aussi à la fin de vie. Il fait évidemment une large place à la question du voile islamique à l’école, qui continue de diviser la Gauche.
Il explique qu’à chaque étape, l’enjeu principal, c’est la défense de l’égalité des droits pour les femmes et les minorités sexuelles, que contestent tous les intégrismes religieux. Il plaide pour la liberté absolue de conscience.

Gérard DELFAU
La Laïcité, défi du 21e siècle
L’Harmattan – 2015 – 230 pages

L’auteur a déjà publié plusieurs ouvrages sur la laïcité et a contribué à la rédaction
de plusieurs autres. Universitaire, c’est un sujet qu’il sait aborder avec la hauteur de vue nécessaire ; militant passionné il connaît parfaitement les forces de son camp comme celles de ses adversaires. Après les évènements de Janvier 2015 [Assassinats chez Charlie Hebdo], il a pris conscience que le combat laïc n’est plus dans une opposition binaire Etat/Religions qui a marqué le 20e siècle en France, mais qu’il importe de prendre en compte la dimension internationale des attentats terroristes et la montée en puissance de l’islam radical.
« Nous avons le devoir de nous réapproprier la laïcité, pas la laïcité positive, pas la
laïcité inclusive, pas la laïcité je-ne-sais-quoi, la Laïcité, point final. » Tel est le fil rouge de son essai.

« Cette laïcité n’est pas seulement un mode d’organisation juridique et politique de la Nation, c’est aussi une approche philosophique du vivre ensemble. » Elle est un cheminement vers le vrai, non l’exposé d’une vérité. Elle a un contenu plus complexe qu’on ne le pense d’ordinaire. Pour l’auteur, ce qu’il décrit est un idéal qui s’est forgé difficilement à contre-courant d’un ordre politique religieux installé depuis des siècles en Europe. Maire, parlementaire et universitaire, GD, dans un long prologue nous assure de sa modestie, de sa bonne foi et de son indépendance, car il n’est le représentant d’aucun parti, d’aucune église, d’aucune école de pensée…

Il était une fois la laïcité.
« La France est une république une et indivisible, laïque, démocratique et sociale. »
Enoncé de l’Art-1 de la Constitution de 1958.
En France, si la formulation juridique du principe de laïcité est récent (1905), l’idée de la laïcité plonge ses racines dans l’histoire de la civilisation occidentale, dans la Grèce antique dès le 5e siècle avant J.-C. Le Moyen-Age où l’Eglise catholique a noué une alliance étroite avec le pouvoir politique aboutit aux guerres de religions. Le discours de la Méthode de Descartes (1637) marque une rupture qui donne naissance à un mouvement d’émancipation qui s’épanouit au 18e siècle : c’est la philosophie des Lumières qui crée les conditions intellectuelles et idéologiques de la Révolution française. Celle-ci est le premier acte de cette sortie de l’Ancien Régime dans lequel était confondu Etat et Religion.

On lira avec intérêt tous les débats et toute l’évolution des lois qui ont occupé la fin du 18e siècle et tout le 19e ; par exemple : création de l’état civil qui remplace les registres paroissiaux ; question de l’enseignement pour les enfants, donc de l’instruction publique. Il s’agit pour les Républicains d’établir un régime « démocratique » et d’arracher à l’Eglise catholique le monopole de l’éducation. C’est aussi le régime concordataire napoléonien (1801) qui durera jusqu’au vote de la loi de 1905. En 1877, Gambetta déclarait « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! ». C’est dans
un climat de violents antagonismes que GD décrit qu’on arrive à la 3e République, âge d’or de l’école publique et de la laïcité (1875-1905). Durant cette période, seront votées les grandes lois qui structurent encore notre fonctionnement démocratique. En particulier la loi de 1882 qui établit l’obligation de l’instruction et la laïcité de l’enseignement primaire. Ce sont des périodes agitées. S’il y a une volonté de paix religieuse, elle est tout en nuance que l’on peut résumer par cette phrase de Jules Ferry en 1889 « Oui, nous avons voulu la lutte anticléricale, mais la lutte antireligieuse, jamais, jamais. »

La période est aussi marquée par l’affaire Dreyfus qui fut en quelque sorte le déclencheur de la dynamique qui va conduire le Parlement à renoncer au Concordat et à voter la loi de séparation de 1905. Précédée de la loi du 1er Juillet 1901 qui encadre la vie des communautés religieuses, cette loi de 1905 est le résultat d’une lente évolution des esprits dans un réflexe de « défense républicaine ». L’auteur nous présente cette loi comme un texte de fermeté et de rassemblement. Promulguée le 09 Décembre 1905, elle a pour titre « Loi concernant la séparation des Eglises et de l’Etat ». Le terme de laïcité n’y figure pas.
On notera le pluriel « des » Eglises. Je m’étonne alors que l’auteur, après avoir reporté ce titre, puisse écrire : Ce qui focalise l’attention, ce qui est l’enjeu principal, c’est une séparation avec l’Eglise catholique. Pourquoi revenir au singulier ? A l’époque cette distinction entre singulier et pluriel avait été relevé.
L’auteur a bien développé les aspects historiques. On découvre en détail les points
forts de la loi : séparation, liberté de conscience, libre exercice des cultes, principe que la République ne reconnait, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. Tout ceci nous permet de mieux comprendre les controverses actuelles.
Cette loi de 1905 est une condition de paix ; elle est un texte de concorde porté par Jean Jaurès et Aristide Briand. Son adoption sonnait la défaite d’une autre laïcité, celle symbolisée par Emile Combes qui visait à limiter l’expression des religions dans l’espace public ; elle était sous-tendue par un a priori hostile aux religions.

Au-delà de la loi de 1905
GD reprendrait-il le combat d’Emile Combes en consacrant tout un chapitre aux
libertés nouvelles pour les femmes et les minorités sexuelles ? Schématiquement ces textes entrent dans un « Bloc législatif de laïcité », car elles combattent grâce aux idéaux des Lumières l’obscurantisme des religions, au premier plan desquelles la religion catholique et ses fidèles qui ont manifesté contre ces lois. Il en va de même pour la « Fin de vie », présentée par l’auteur comme un « nouvel enjeu de laïcité. »

L’islam radical défie le modèle républicain
Pendant deux siècles, les débats sur la laïcité ont opposé les Républicains progressistes à l’Eglise catholique, à certaines fractions du judaïsme et plus ou moins aux Protestants. Un tournant historique s’est opéré dans les années 1980 avec l’émergence d’un islam prosélyte – même si la première mosquée fut construite à Paris en 1926 en mémoire des musulmans morts pour la France durant la Grande Guerre.
Parallèlement, il y a un bouleversement géopolitique considérable : deux religions
s’affrontent sur plusieurs continents : l’islam et le christianisme évangélique.
Sur le plan intérieur français, les débats sont vifs. La Gauche dont se revendique GD se fracture. L’élaboration de la loi du 15 Mars 2004 sur les signes religieux à l’école en témoigne. Elle revient à étendre aux élèves le principe de neutralité politique et religieuse réservé jusqu’alors à l’établissement d’enseignement. Pour l’auteur, la question religieuse est revenue sur le devant de la scène pour ne plus le quitter.
La dimension de crise planétaire, liée à l’islam radical est à présent omniprésente dans le débat sur la laïcité. Certains sont favorables aux « accommodements raisonnables », vis-à-vis de la communauté musulmane ; tandis que pour d’autres – dont GD – il est temps de réaffirmer la République laïque et en particulier, vis-à-vis de l’islam, ni régime dérogatoire, ni indifférence des pouvoirs publics, sinon nous sommes en « pleine confusion intellectuelle et morale. » Les questions à traiter sont nombreuses et complexes : construction des mosquées, formation des imams, repas dans les cantines scolaires, droit des femmes, mariages forcés des jeunes filles,
application de la laïcité dans les entreprises…

Construction d’un « Bloc législatif de laïcité »
GD le propose, assorti de la liberté absolue de conscience. 5 sphères concentriques :

  1. Le principe de Séparation au coeur de tout
  2. La sphère de la puissance publique-Etat
  3. La sphère des libertés individuelles
  4. La sphère de la société civile
  5. La sphère privée. Cette conception globale de la laïcité peut être critiquable par des intellectuels, universitaires, politiques, communautés religieuses… Il s’agirait d’une laïcité en rupture avec la loi de 1905 : L’Etat est laïc, pas la société.

Vers l’universalité du principe de laïcité ?
Après avoir longuement disserté sur la question de savoir si la laïcité est une exception française et examiner la situation dans les principaux Pays européens, l’auteur fait un double constat :
– Aujourd’hui, notre continent est malade des religions.
– Il est nécessaire de contenir les « religions meurtrières » pour assurer la paix.

Il évoque aussi la possibilité d’une défaite prochaine de l’Occident face à la montée de l’islamisme. En conclusion, il former le voeu de l’universalisation du principe de laïcité (donc du principe de laïcité à la française). Ce qui se joue au 21e siècle c’est l’universalisation du principe de laïcité ou la généralisation des guerres de religions. Une devise pourrait résumer le programme et l’espoir de l’auteur : Liberté, égalité, laïcité, pour tous les peuples sans exception.

Nota : GD fut aussi l’instigateur de l’association EGALE : Egalité – Laïcité – Europe.
Renvois :
• Jean BAUBEROT, Laïcités sans frontières – FW N°41.
• Farida Faouzia CHARFI, La science voilée (Science et Islam) – FW N°49.
• Alain TOURAINE, La fin des sociétés – FW N°51.
• Elisabeth GUIGOU, L’Europe : les défis à venir … – FW N°52.
• Jean-Claude CARRIÈRE, Croyance – FW N°57
PQ