Médias et changements

Cet ouvrage s’interroge sur les liens entre médias et changements à partir des
mobilisations sociopolitiques et nouvelles formes de l’agir citoyen qui ont vu le jour dans des contextes fort différents : en Europe, en Afrique, en Asie, en Amérique du Nord et en Amérique du Sud. Il invite à penser diverses mobilisations citoyennes afin de mettre en perspective leurs similitudes et divergences, d’une part, et leurs continuités et ruptures avec des mouvements de fond plus anciens, d’autre part.
Les figures symboliques de ces mouvements incarnent des revendications culturelles, socioéconomiques, des formes de participation nouvelles dénonçant la précarité, le manque de liberté, de démocratie, d’égalité sociale, d’espoir, etc. Le point commun entre tous ces phénomènes est l’usage des technologies numériques comme outils d’aspiration au changement. Cependant, le processus de changement représenté par ces modalités d’action serait-il une énième illusion un idéal démocratique dans un système favorisant l’usage mercantile des traces d’utilisateurs des outils numériques ?
La présence d’acteurs aux discours souvent contradictoires, avec un investissement
inégal, dans un espace symbolique éclaté peut-elle favoriser la mise en place d’un contrepouvoir et conduire au changement ? Assistons-nous à l’émergence d’une nouvelle forme de démocratie participative, d’organisation du débat public, de gestion du territoire et de gouvernance dont les modalités seraient différentes de l’action « traditionnelle » ?
Cet ouvrage réinterroge de la sorte les phénomènes de changement pour offrir de nouvelles lectures aux processus d’engagement, de contestation, de l’agir citoyen, de « révolution » numérique, de « contagion » médiatique, d’internationalisation de flux informationnels, de « durée de vie » des mouvements citoyens, de gouvernance, etc.

Sous la direction de Fathallah DAGHMI, Farid TOUMI, Abderrahmane AM SIDDER.
MÉDIAS ET CHANGEMENTS
Formes et modalités de l’agir citoyen
L’Harmattan – 2015 – 240 pages.

Cet essai est une sorte de compendium réunissant les contributions de dix-huit
auteurs sur le thème médias et changements. Cet ouvrage étant plutôt touffu, il me paraît opportun d’utiliser une grille de lecture autour des idées forces suivantes :
– les conditions de libération de la parole par le numérique.
– le numérique dans l’accès à la démocratie
– le numérique dans le fonctionnement de la démocratie
– le numérique dans la transformation de la société.

Les conditions de libération de la parole par le numérique.
L’idée du « clivage numérique » met en exergue la problématique des inégalités dans l’accès aux technologies de l’informatisation de la communication ;
La réflexion sur l’appropriation individuelle et collective des technologies, incite à dépasser la classification binaire entre ceux qui bénéficient et ceux qui n’ont pas accès à l’information numérique, par une description plus fine sur la compétence des gens à circuler dans l’univers numérique de L’Internet afin d’y trouver une information spécifique.
Le développement actuel des plateformes numériques suscite une transformation de
l’utilisateur appelé à participer et à contribuer activement au monde numérique. Les internautes deviennent à la fois des agents producteurs et fournisseurs de données.
Le capitalisme informationnel caractérisé par les plateformes numériques proposées
par le GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazone – révèle un paradoxe. En effet, si la dépendance à l’usage en réseau de l’application des produits proposés par ces firmes augmente, il faut remarquer que dans le même temps ces plateformes constituent des espaces publics où des informations peuvent circuler et s’échanger d’une manière distincte des échanges proprement commerciaux. « Ce type d’échanges entre citoyens – distinct des échanges proprement commerciaux – offre la capacité de nourrir ou d’engendrer des pratiques de résistances culturelles et politiques au régime économique dont précisément ces plateformes sont la manifestation
industrielle la plus contemporaine ».

Le rôle de l’usage du numérique dans l’accès à la démocratie
Au Maghreb
Les TIC et en particulier les RSN Réseaux Sociaux Numériques), malgré le potentiel
qu’ils représentent sur le plan de la rapidité, la mise en circulation de l’information et de la coordination des actions collectives, ont joué un rôle modeste lors des soulèvements arabes de 2011, compte tenu d’un faible taux de pénétration haut débit et d’un fort taux de pénétration la télévision dans les foyers et la présence d’antennes paraboliques pour capter les chaines du Moyen Orient, particulièrement Al-Jazira.
En revanche, les échanges des internautes sur l’identité amazigh (berbère), ont pris une ampleur avec en arrière-plan l’aspiration à l’unité en Afrique du Nord. Dans ce sens, la présidente de l’association des Amazighs de Tunisie affirme que la langue et la culture amazighes de Tunisie sont la colonne vertébrale qui peut unir l’Afrique du Nord ou Tamazgha.
Dans la diaspora roumaine en France
Les constructions identitaires de ces migrants installés en France s’inscrivent dans
une continuité (être à la fois ici et là-bas) où lesTIC ont considérablement changé le vécu même du migrant.
La mobilisation massive des roumains en France vivant en France via les réseaux
sociaux (des blogs participatifs comme Café des Roumains, les communautés virtuelles Facebook Roumains de France, Roumains de Paris, Roumains en France, etc.) s’explique par la persistance actuelle d’une image très éthnicisée des Roumains en France.
Comme pour les Amazighs, dès qu’il s’agit de constructions identitaires la motivation est telle que la mobilisation sociale est facilitée à travers les médias numériques.

Le numérique dans le fonctionnement de la démocratie
La pétition en ligne
Les échanges multipolaires entre citoyens dans le cadre du web, induisent un nouveau mode de circulation des idées plus polyphonique, lequel a des incidences sur la participation aux débats publics et aux choix politiques.
Les sites de pétitions en lignes qui se développent, participent de cette évolution.
Le site de pétition en ligne avaaz.org revendique 42.000.000 de membres dans 194
pays.
Lors de la crise politique profonde connue par la Belgique entre 2010 et 2011, de
nombreuses pétitions en ligne sont intervenues. Un groupe de citoyens, d’intellectuels ont créé un site intitulé: le G1000, en lançant l’appel suivant : « laissons le citoyen délibérer, et pas seulement les représentants du peuple ». C’est l’appel que lance un groupe de penseurs et de gens d’action indépendants. Leur proposition : le G1000, un sommet à Bruxelles le 11 novembre de mille citoyens choisis au hasard qui délibèrent sans parti pris. »
La plateforme du Budget Participatif de la ville de Paris
Plus de 40.000 personnes ont voté le premier « budget participatif » de la ville. Un
peu plus de 24.000 personnes ont voté par L’Internet. L’enveloppe allouée à ce budget était de 20 millions d’euros, permettant de financer neuf projets comme par exemple la végétalisation d’une quarantaine de murs, la création de jardins pédagogiques dans les quelques 300 écoles qui n’en avaient pas encore, la «reconquête urbaine» grâce à la réhabilitation de lieux délaissés dans les quartiers populaires et à l’aménagement de certains passages souterrains sous le périphérique.
Les machines à voter et le militantisme anti-machines à voter
Autorisée en 2003, on compte une soixantaine de communes françaises qui utilisent
la machine à voter. Une forme de militantisme anti-machine à voter est apparue.
Il est intéressant de constater qu’une partie des opposants au vote dématérialisé
utilisent les TIC pour protester contre le vote électronique. Il s’agit donc d’une hybridation de l’expression militante. La pétition est ainsi une manifestation de cette capacité de métissage entre répertoire d’action traditionnel et usage des TIC.

#Yo soy 132 : vers une nouvelle forme de mouvement social et de militantisme
politique.
Lors des élections présidentielles de 2012, un conflit a opposé Enrique Pena Nieto candidat à la présidence de la République à un groupe d’étudiants qui lui reprochait d’avoir participé à des arrestations et des violations des droits humains en 2006 alors qu’il était gouverneur de l’ Etat de Mexico. Les étudiants présents se mirent à huer le président qui fut dans l’obligation de quitter le campus universitaire. Les images de cette sortie furent diffusées par You Tube. Les principales chaines de télévision du pays ainsi que de nombreux journaux nationaux ont prétendu qu’il ne s’agissait pas d’une véritable expression d’étudiants. Les 131 étudiants ont répliqué dans une Vidéo diffusée sur You Tube. Ils y montrent leurs cartes d’étudiant et déclarent qu’ils n’ont pas été entraînés par un groupe minoritaire, proche d’un parti
opposé au candidat. Le mouvement #yo soy 132 a ainsi rassemblé autour des 131étudiants, des milliers de Mexicains qui ont porté leur soutien au mouvement en tant que 132e membre.

Le numérique dans la transformation de la société.
La reconsidération de l’agir militant du fait de la dispersion des pratiques numériques.
Exemple : Amnesty International France. Les nouveaux militants parviennent à davantage s’informer grâce à L’Internet, mais ils participent à différents types de combats et la pérennité de leur engagement n’est plus assurée faute de pouvoir s’y consacrer de manière exclusive.
Les auteurs proposent de nommer ainsi actes de militance « les pratiques qui manifestent un multipositionnement, éclatées éventuellement éphémères, mais révélant aussi une réactivité, une rapidité qui rendent aptes à répondre effectivement à une situation »
Ainsi les réseaux sociaux « reconfigurent les pratiques par leur capacité à faire circuler l’information et à valoriser la moindre activité par sa comptabilisation, son affichage dans de nouveaux espaces de publication. C’est la nature même de médiations qu’ils autorisent qui fait de ces actes de militance des actes essentiels pour une association telle qu’AIF. »

Le traitement des questions de société sur L’Internet et les réseaux sociaux

La provocation du corps féminin en ligne
Les auteurs nous donnent les exemples de deux jeunes femmes, l’une égyptienne, l’autre tunisienne qui publient sur L’Internet des photos d’elles nues pour dénoncer « une société de violence, de racisme, de sexisme, de harcèlement sexuel et d’hypocrisie ».
« Les réseaux sociaux ont permis le contournement d’un tabou majeur de la société
arabo-musulmane et ont permis de déplacer le débat sur le corps de l’espace virtuel aux médias classiques et dans la rue (manifestation, tribunal, etc.).
La transgression des non-jeûneurs, publiant sur Facebook, pendant le Ramadan, des
photos sur leur transgression des interdits religieux.
Les journaux en lignes sont source d’information et de discussion juvénile de l’actualité en particulier dans un pays comme l’Algérie.
You Tube espace de contestation par la dérision des jeunes de Béjaia
Les vidéos qui circulent sur You Tube sur le ton de la plaisanterie sont pour certains
jeunes algériens une thérapie par le rire et pour d’autres une technique dénonciatrice du marasme ambiant et une incitation à réfléchir sur les conditions sociales et la situation politique.

GG