Pop théologie

Pourquoi Maître Yoda dit-il qu’il faut « croire » en la Force, dans La Guerre des Étoiles ? Pourquoi l’une des premières équipes de football a-t-elle choisi de s’appeler Les Corinthiens ? Pourquoi Philip K. Dick pensait-il que les premiers chrétiens vivaient encore parmi nous ? Pop Théologie suggère que c’est parce que la société du spectacle, des loisirs et de la consommation doit sa forme à la religion, et plus particulièrement à cette éthique protestant que Max Weber avait déjà repérée dans « L’esprit du capitalisme ». Loin d’être l’ultime manifestation du désenchantement du Monde, notre postmodernité relève d’un mouvement de Réveil de la foi : celui qui vit le 19e siècle se passionner pour La Réforme, cinq siècles après Luther. Ce qu’il nous faut désormais comprendre, c’est pourquoi les artistes contemporains sont des tricksters et des pasteurs, en quoi Bartleby est à la fois copiste à Wall Street et le « nouveau Christ ou notre frère à tous » selon la formule de Gilles Deleuze, et comment Nietzsche peut à bon droit se dire le plus grand des immoralistes en même temps que le premier des élus. Autrement dit : pourquoi nous sommes désormais tous des protestants, même, ou plutôt surtout, quand nous ne croyons pas.

Mark ALIZART
POP Théologie
PUF – 2015 – 325 pages
Pour les révolutionnaires américains [NB = Lesquels ? L’auteur ne l’écrit dit pas ; nous supposons qu’il s’agit des Usiens], la démocratie est l’accomplissement de la promesse évangélique. Elle est littéralement le commencement du millénium de paix qui précède la résurrection des corps.
Le ton est donné dès la P.32. Le lecteur qui s’interrogeait légitimement sur l’embarquement qui lui était proposé par l’auteur commence à comprendre qu’il entre dans un univers messianique où les considérations scientifiques démontrées n’ont pas cours.
Si le méthodisme a été révolutionnaire ce n’est pas au sens où il a proposé une forme
de communisme avant la lettre, et s’il a été conservateur, ce n’est pas au sens où il endormit le peuple en permettant aux possédants de s’enrichir davantage. Il fut révolutionnaire en élargissant la promesse de rédemption des âmes à la promesse de rédemption des corps, des conditions de vie, de la société au sens large, et il fut conservateur en donnant pour horizon de cette rédemption l’éthique rigoureuse du travail propre au protestantisme, sous la forme nouvelle de l’entreprise individuelle, ou plutôt de l’individu devenu sa propre entreprise.
A pleasant Sunday afternoon
Tel est le titre du Chapitre4 où nous apprenons que si le principe des congés payés
apparaît si tardivement dans l’Histoire, ce n’est pas, ou pas seulement, parce que le patronat entend profiter d’une ressource inépuisable de main-d’œuvre, c’est aussi parce que les travailleurs sont incapables d’occuper un temps libre, sinon en le buvant, y compris, c’est un comble, les travailleurs eux-mêmes. Pour que le concept de loisir devienne pensable, il fallait juste cette transformation fondamentale issue de la théologie piétiste, revue par le méthodisme, l’idéalisme allemand et le romantisme, du rapport au travail, constitutif du protestantisme.

Trickster = Filou, escroc, rétif.
Plus loin, M.A. note que pour d’autres théologiens, la base de leur réflexion pose que
l’identité personnelle n’est pas fixe, certes a fortiori biologique, mais qu’elle est le terme d’un processus de réalisation personnelle (self realization) qui s’opère, telles les microvariations de Darwin, à même l’espace social, au contact des autres.
L’explosion de la high culture en une multitude de sous-genres, manifestant parfois
dans leur contenu même le principe de leur éclatement (comme le Jazz ou le Cubisme), en découle logiquement. S’agissant plus précisément de la musique, le rôle du protestantisme dans la naissance de la Pop est – d’après l’auteur – bien connu. Des mots comme Faith – Heart – Love …. Portés par nombre de chanteurs renvoient d’abord à une tradition liturgique.
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Rien ne témoigne mieux de la pente protestante de ces pensées que les critiques
qu’elles ont à subir. Que ce soit dans le cas du Marxisme, du Nietzchéisme ou des « philosophies de la différence », le même reproche de quiétisme, de fatalisme, voire de luxure ou de tyrannie, qu’on trouve à l’encontre de Luther, Calvin et Hegel, a été adressé. Et pour cause, il existe bien la possibilité d’un enthousiasme postmoderne : l’immédiateté, ici et maintenant !
Gelassenheit heideggerienne, involontarisme deleuzien invitent à une forme de mysticisme. Pourtant, chez Luther et Hegel, ces pensées visent à convertir le désœuvrement et l’aliénation en une action, une positivité.
Cependant, l’auteur montre aussi que ce qui est reproché aux postmodernes c’est
d’avoir présidé, par excès d’ascèse, non à la libéralisation outrancière de la société, mais à sa mise sous coupe réglée cybernétique. De sorte que tout est à refaire. L’idée selon laquelle nous serions plus que jamais protestants appelle l’idée complémentaire selon laquelle il conviendrait d’accomplir enfin, et pour de vrai, la promesse d’un vrai postmodernisme émancipateur.
Lutter contre les dérives de 1968 ne passerait pas par la restauration de l’autorité,
comme le pensent les néoconservateurs, mais par un tour de vis supplémentaire donné à sa déconstruction, et même à la déconstruction de la déconstruction.
Amen !

Renvois :
• Jean-François ROBREDO, Du cosmos au Big Bang, la révolution philosophique.
FW N°24
• Sébastien FATH, Dieu XXL / La révolution des megachurches – FW N°30
• Aldo SCHIAVONE, Histoire et destin – FW N°35
• Bertrand LEMARTINEL, Et l’homme créa la Terre… (Obscurantismes) – FW N°47
• Arthur KOESTLER, Les Somnambules (Sciences et Religions) – FW N°55