Sauver le progrès

Si l’idée de progrès a guidé l’action sociale et politique moderne depuis Les Lumières, elle s’est considérablement affaiblie. Y compris les insatisfaits de la réalité actuelle, le mot même de progrès a perdu son sens. Progrès de quoi ? Progrès de qui ? Progrès vers quoi ? Qui peut encore répondre à ces questions  ? Que le progrès n’ait plus d’attrait ni de contours, qu’il ne fasse plus consensus  pour les « progressistes » est un facteur central de la fermeture actuelle des possibles. Le doute légitime vis-à-vis du progrès, en particulier technique et économique, a renforcé à son insu le discours hégémonique sur l’absence d’alternatives et sur la fin de l’Histoire. Afin de conjurer cette malédiction, l’auteur produit une  analyse  conceptuelle, historique et sociologique, qui vise à redéfinir ce que pourrait être un futur désirable pour celles et ceux qui souffrent du présent.

Selon l’auteur, le progrès est à la fois nécessaire et possible, et doit être réactivé à partir de deux matrices que sont la critique et l’imagination.  Il faut aussi se défaire des conceptions euro-centrées  qui  ont  dominé  l’imaginaire des  modernes.  L’émergence d’une capacité  à l’autodétermination collective apparaît comme la condition et l’horizon de tous les autres progrès

Peter WAGNER

La Découverte – 2016 – 190 pages

Le concept de progrès est situé : il trouve ses origines en Europe de l’Ouest avec la révolution scientifique, la Révolution française et la révolution industrielle. Il a initié une nouvelle ère et permis aux hommes de s’orienter dans le temps et dans l’espace.

Dans son sens le plus général, le mot « progrès » signifie « amélioration des conditions de vie des êtres humains, y compris dans leurs formes d’organisation sociale ». Le progrès s’inscrit dans la durée.

Les Lumières affirmaient deux facteurs essentiels au progrès : les êtres humains sont des êtres capables d’autonomie et de raison. Raison leur permettant d’identifier les problèmes et de trouver les moyens de les résoudre [grâce aux sciences] ; autonomie les autorisant à choisir de manière à agir de la manière la plus appropriée.

Pour les thuriféraires du progrès, l’épuisement  des avancées – mais selon quelles références  ? – signale  la fin du progrès  ; tout  le possible  aurait déjà été  obtenu. Ainsi, la seule chose que nous serions susceptibles de faire de nos jours serait d’entretenir un rapport nostalgique au progrès.

 

Tout au long de son livre, l’auteur zigzague entre les progrès objectifs – scientifiques

– et les progrès sociaux – circonstanciels et contingents, ce qui rend difficile la perception du fil rouge qu’il veut suivre et nous faire partager. Néanmoins, pour lui, l’idée d’autonomie est l’une des conditions clés du progrès trouve sa source dans la conception même du progrès… scientifique.

 

P.55, Peter Wagner s’égare. Selon lui, depuis les années  1980, deux thèmes  clés ont modifié les termes du débat : le changement climatique provoqué par les humains et les grands accidents nucléaires. Dans les deux cas, les risques sont tels qu’ils mettent en cause la possibilité même d’habiter la Planète dans sa totalité ou dans de vastes régions. Ces évènements peuvent engendrer sur le moyen ou le long terme des évènements irréversibles.

C’est vraiment ennuyeux de la part d’un sociologue de répéter dans discernement les raisonnements simplistes véhiculés par les grands médias (occidentaux) ; visiblement il n’a eu aucun recours à des documentations sérieuses (physique, chimie, biologie, astrophysique, géophysique…) qui lui auraient permis de ne pas présenter des erreurs comme celles évoquées : le changement climatique n’est pas d’origine anthropique, quant « aux » grands  accidents nucléaires nous aimerions savoir lesquels : à part Tchernobyl ou Harrisburg, nous n’en voyons pas (Le séisme de Tohoku – 9 sur l’échelle de Richter, niveau exceptionnel – a enclenché l’arrêt immédiat de tous les réacteurs nucléaires de production d’électricité du Japon  ; le reste est dû au tsunami généré par le séisme. A ce jour précis, nous comptons 20 000 morts dus au tsunami, et aucun par contamination ou irradiation via des éléments radioactifs).

 

Il est plus convaincant en analyse sociétale.

Ainsi explique-t-il que lorsque le processus de rationalisation de l’Etat et la revendication de la souveraineté  populaire convergèrent  (fin 18e), certains  penseurs  des  Lumières ne se positionnèrent pas en faveur de la démocratie égalitaire et inclusive. Un raisonnement qui n’avait rien d’incohérent à leurs yeux, puisqu’ils estimaient que la majorité de la population n’était pas suffisamment  éduquée  pour faire bon usage  de sa faculté de raison. Pour que s’exerce une participation politique pleine et entière, il fallait attendre que tous soient sortis de l’immaturité.

Les constats opérés récemment en analysant des votes « populistes-simplistes  »

valident les réserves des Lumières, pourtant souvent de vrais radicaux.

 

P.122, l’auteur se fait l’écho des propos de Walter Benjamin et de Karl Jaspers dans les années 1940-1950. Pour eux, l’interprétation  des ravages guerriers du début du 20e siècle implique qu’il n’y a pas (plus) d’espoir de progrès, ou encore que l’Histoire tend vers davantage de destruction. Pour autant, une autre formule proposée par PW consiste à réduire les alarmes des deux hommes à une perte de contrôle de l’Occident sur le reste du Monde.

 

Vers la fin de  son  livre,  il  s’interroge :  quelle est  la différence entre  la promesse d’émancipation et d’égale liberté pour tous d’il y a plus de deux siècles [Mais est-ce cela a vraiment été formulé ainsi ?] et l’institutionnalisation  apparemment répandue d’égale liberté aujourd’hui ? Autrement exprimé : qu’est-ce qui ne fonctionne pas dans le discours sur les droits de l’homme et la démocratie ? Bonne question ; néanmoins, constatons que l’auteur, qui prétendait s’affranchir d’un européocentrisme  … y revient sans s’en apercevoir…

 

Le chapitre qui s’ouvre P.147 se nomme « Quels progrès pour demain ? ».

Peter Wagner propose de maintenir que toute amélioration est en principe possible, et, plus spécifiquement qu’elle doit être accomplie dans des conditions d’autonomie, même si des considérations additionnelles sur le fonctionnement de l’autonomie peuvent être introduites. La possibilité d’une amélioration et l’autonomie lui semblent être les conditions minimales pour développer une conception faible du progrès. Si nous abandonnions toute notion d’amélioration possible, nous n’aurions plus aucun concept de progrès. Si nous abandonnions la défense de l’autonomie, nous perdrions le noyau normatif de la modernité. Certes, mais sur ce dernier point, qu’est-ce qui nous indique que l’homo sapiens du 21e siècle le souhaite vraiment.

Quant au décalage entre les attentes « politiques » qui relèvent de la psychosociologie des peuples ou des ethnies ou des croyances religieuses, avec les réponses objectives des sciences (découvertes), l’écart est béant. Ainsi, face au changement climatique qui serait d’origine essentiellement anthropique, une déferlante anti-humanité s’est formalisée idéologiquement ; les tenants du retour à l’ère préindustrielle doivent avoir oublié ses caractéristiques : mortalité infantile élevée, morbidité  forte, espérance de vie à la naissance de 25 ans, aucune mobilité, aucun enseignement généralisé, hygiène absente, famines récurrentes…etc…

LF