Tiers-lieux / Travailler et entreprendre sur les territoires : espaces de coworking, fablabs, hacklabs…

En préambule de cette note de lecture, une présentation de la démarche de recherche par Clément Marinos en vidéo où il souligne l’intérêt de ces travaux précurseurs qui trouvent un écho dans l’actualité avec la première labellisation des 80 tiers-lieux par la Fabrique des Territoires en ce début d’année 2020.

« Épiphénomènes d’une mutation sociale, fruit de l’économie numérique, les tiers-lieux interpellent les décideurs publics territoriaux sur l’attitude à adopter, de l’intérêt bienveillant à une tutelle complète. L’ouvrage réunissant une équipe pluridisciplinaire de chercheurs présente un matériau empirique original sur cette réalité émergente, encore mal connue : celle de la multiplication des tiers-lieux dans les villes et hors des centres métropolitains. il pose de nouvelles questions, encore peu traitées dans la littérature, en s’intéressant à la trajectoire sociale des fondateurs d’espace de coworking, aux nouvelles manières des jeunes générations de travailleurs du numérique de conjuguer leurs aspirations de liberté et d’épanouissement dans les domaines professionnel et privé, ainsi qu’à leurs nouveaux rapports à la collaboration, au travail, au territoire, à la mobilité et aux questions écologiques. »

sous  la direction de Gérhard KRAUSS et Diane-Gabrielle TREMBLAY

Tiers-Lieux

Travailler et entreprendre sur les territoires : espaces de coworking, fablabs, hacklabs…

 

Presses Universitaires de Rennes, 2019, 212 p.

« Communauté – Projet – Ouverture ». Ces trois mots utilisés dans la vidéo par Clément Marinos résume selon lui l’intérêt des tiers-lieux. En effet, au travers d’une dizaine de contributions, plusieurs analyses de tiers-lieux sont proposées en s’appuyant sur différents contextes en Allemagne, en France – dont en Bretagne – et au Canada, et avec une diversité d’espaces dédiés aux usages numériques de type coworking fablabs, hackerlabs, makerspaces… L’intérêt convergent accordé ici aux nouvelles formes de travail collaboratif évite une trop grande dispersion face à ce concept de tiers-lieu utilisé dans de nombreux domaines. « Rappelons (comme dans l’introduction de cet ouvrage) brièvement les critères de définition d’un tiers-lieu tels qu’ils sont établis dans la littérature suite au travail conceptuel (dès 1991 par le sociologue) de Ray Oldenburg(…) un espace de rencontre favorisant les échanges, la socialisation, la communication et les actions ou interactions réciproques, susceptible de faire émerger une communauté, basée sur des liens de complicité intellectuelle, mais sans pour autant supposer une similarité complète entre les membres« .

C’est dans cet esprit que cette recherche collective se poursuit avec le programme Périwork qui s’intéresse plus précisément aux espaces de travail collaboratifs hors métropole. Cette orientation de la recherche prend le pari d’une alternative à l’approche dominante sur la concentration urbaine accentuée par les « opportunités » proposées par les GAFA. Cette recherche sur des terrains hors métropole rejoint les travaux d’Olivier Bouba-Olga sur la « CAME (Compétitvité Attractivité Métropolisation Excellence), comment s’en désintoxiquer ? » Pour reprendre le premier mot de la communauté évoqué par Clément Marinos – associé à Olivier Bouba-Olga sur certaines recherches – les contributeurs à cet ouvrage s’associent sur une thèse commune invitant à ouvrir les politiques publiques engagées sur le numérique car elles apparaissent encore trop orientées vers une « ville service numérisée » pour reprendre les termes de Jean Haëntjens (voir note de lecture »Comment les géants du numérique veulent gouverner nos villes »).

La focale mise dans plusieurs articles sur le parcours des créateurs de tiers-lieux s’apprécie de manière synthétique dans la contribution de Christine Liefooghe sur le « nouvel esprit du capitalisme revisité sous l’angle des utopies du travail collaboratif (qui) s’oppose de plus en plus à l’esprit des nouveaux communalismes porté par les utopies des communs« . La constitution d’une communauté d’usagers enrichie par une interconnaissance de ces mêmes usagers au-delà du cadre professionnel interroge la capacité d’ancrage territorial. Pour autant, cette inscription dans un contexte socio-géographique donné est contrainte par « l’hybridité (de ces tiers-lieux) qui désorientent les édiles politiques« . Face aux promesses perçues en termes d’innovation numérique locale, de création d’entreprises, de revitalisation de territoires en déclin… les crédits affichés par l’Etat et plusieurs collectivités au travers de soutien aux tiers-lieux illustrent cet engouement avec le risque d’un décalage entre des niveaux d’intervention qui s’ignorent jusque-là.

Les contributions sur les pratiques dites collectives au sein des fablabs, hackerspaces et coworking constituent une anti-chambre de la relation décalée entre les porteurs/animateurs de tiers-lieux et les acteurs publics. L’ouverture prônée en entrée atteint ses limites au regard des mécanismes relatifs « à une quête de l’entre-soi, dont la spécificité est de rassembler des acteurs qui se ressemblent » comme en témoigne Flavie Ferchaud. La capacité de projections de ces initiateurs de tiers-lieux à vocation professionnelle s’inscrit avant tout dans leur parcours entrepreneurial. Leur besoin de ressources locales est enrichi dans ces tiers-lieux par leur capacité à initier des projets qui servent à leur travail… voire pour certains cas idéalisés à se concentrer sur la trouvaille fantasmée de l’algorithme rémunérateur. Pour autant, l’expérience de la démarche de projet, entendue sous l’angle de la prospective territoriale qui invite à « voir loin, large et profond » selon la célèbre formule de Gaston Berger, implique d’innover dans l’animation d’un tiers-lieu en vue d’une inscription sur-mesure avec un projet de territoire co-construit. Notre expérience dans l’ouest au contact de ces sphères publiques et privées qui s’ignorent, nous apportent un éclairage à la question posée en conclusion de cet ouvrage « Faut-il inciter, initier ou encore même institutionnaliser ces nouveaux lieux ?«  Laissons aux lecteurs le soin de découvrir un début de réponse que nous partageons…

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